Avez-vous déjà eu dans votre vie une personne que vous aimiez jusqu’aux étoiles, tout en la détestant profondément?  Vous savez, ce quelqu’un qui réveille chez vous une addiction, le besoin d’être à ses côtés, l’inconsolable tristesse de son absence, le manque.

Et pourtant, quand vous le retrouvez, très vite vous vous laissez envahir par l’agacement, la colère qui pique les yeux. Souvent, cela se finit en éclats de voix et vous vous jurez à vous-même que « on ne vous y reprendra plus ».

Bon, et bien pour moi, cette bipolarité des sentiments m’envahit à chaque fois que l’envie me prend de prendre un taxi. Je sais, ça peut paraitre un peu extrême comme comparaison, mais en même temps, personne n’a dit que j’étais équilibrée !

Concrètement, deux étapes se succèdent dans mon esprit :
– Etape 1 : Le sentiment de kiff sans pareil « Prendre un taxi ? Mmmh quelle douce idée que celle d’être conduite d’un point A à un point B, sans effort… Vais-je laisser la flemmarde en moi s’exprimer ? » .

•Etape 2 : L’angoisse atomique, celle de dépenser une fortune pour se retrouver coincée avec un connard dans une voiture qui pue. Alors évidement, même si #pasdamalgame, il faut admettre que lorsque l’on vient de Paris, on peut avoir été traumatisé par certains trajets, ce qui explique le sentiment décrit à l’Etape 2.

Perso, je me souviens avoir vécu des situations suite auxquelles j’ai longuement remercié le Ciel de m’ avoir permis d’en ressortir intacte.

Il y a eu la fois où mon chauffeur m’a gentiment expliqué que si je sortais si tard du travail cela signifiait que j’allais « finir seule avec des chats » et que « c’est con car z’êtes pas degueu » mais que bien sur « moi j’dis ça pour vous ».

J’ai aussi connu la femme-chauffeur qui a secoué devant moi un tuperware d’urine en m’expliquant que pour ses collègues dotés d’un pénis c’était plus facile de faire dans une bouteille, donc que la vie est injuste et que tout ça tout ça.

Mais surtout, il y a eu l’inoubliable défenseur des droits gazaouis qui a pris le temps de rationnellement m’expliquer à 4h du matin qu’il fallait « mettre tous les juifs dans des cages », comme l’avait fait « Saddam Hussein ce héros ». 

Pour le dernier, on remerciera ma maman qui m’a toujours enseigné le comportement à adopter dans ces situations nommées « Code Rouge ». « Tu prends ton téléphone et tu dis « Allô chéri ? Tu pars du commissariat, tu as fini de travailler ? Super, on se retrouve à la maison dans 5 minutes je suis dans le taxi rue X ou Y », comme ça le type pense que ton mari est policier et qu’il t’attend, et même si c’est un fou, il a un peu peur, t’as compris le truc? », et franchement, après avoir ri d’elle pendant des années, je dois dire que cette nuit là je m’en suis servie, du truc.

Bon, mais après à Paris, ça a changé. Forcément, puisqu’il y a eu Uber. Ah, Uber…Ce tendre amant aimant qui te traite comme une princesse et te fait prendre conscience de la violence de ton mari taxi. Lui, il ouvre ta porte, il abreuve ta soif et surtout, surtout, il met à ta disposition un freaking Régala. Uber, il sait parler aux femmes. Mais du coup, avec Uber ça s’est fini aussi, le jour où j’ai pris mon envol pour la terre sainte.

Et au milieu des questions existentielles qui rythment ma vie de Ola, il est une question, pas existentielle du tout, sans enjeu, et que j’affectionne particulièrement puisqu’elle me rappelle ma candeur parisienne « Et ici, les trajets de taxi, ça donne quoi ? ».

Voilà bientôt trois mois, et je peux à présent dresser de mon vécu un panorama, qui dans l’ensemble, confirme assez bien tous les stéréotypes imaginables. Voici donc les trois commandements à connaître pour ne pas être pris par surprise :

1.Israélien le chauffeur est, israélien il restera. Oublie Uber et son ouverture de porte à la française, on est au milieu du Moyen-Orient remember ? Mais pas de panique, si tu as cerné la personnalité israélienne, tu vas très vite savoir adorer le plus terrible des rustres. Un soir d’hiver, le taxi qui m’attendait en bas de chez moi a ouvert la fenêtre de la voiture en me voyant me diriger vers lui et s’est mis à me hurler dessus en me traitant d’idiote. J’étais pas vraiment sure de comprendre ce qu’il m’arrivait, et soudain il a ajouté « Tu vois pas qu’il pleut ? Et tu sors comme ça ? Remonte chercher un bonnet sinon je démarre pas ! » et je me suis dit que niveau prestation de services, on avait clairement changé de dimension. Alors en vrai, le dites pas à Uber, mais je peux l’ouvrir toute seule ma portière.

2.Politique pendant ton trajet tu parleras. Il y a une blague en hébreu qui dit « c’est quand même bête que tous les meilleurs éléments du gouvernement soient chauffeurs de taxi ! ». Et pour cause. Après 30 secondes de trajet, sois prêt à entendre  LA solution à TOUS les problèmes politiques et géopolitiques relatifs à ces 20770 kilomètres carrés tant chéris. A quand leur présence officielle à la Knesset ?

3.Ton accent français te coûtera 5 à 10 shekels de plus par trajet, ça dépend à quel point ton plaidoyer selon lequel « ani lo touristeuuuuh » aura convaincu. Que veux-tu, ça fait partie du package en-France-on-pense-que-je-suis-riche-car-je-suis-juif-et-ici-on-pense-que-je-suis-riche-car-je-suis-françaiiiis. Je pensais qu’en gardant en tête ces éléments, rien ne me surprendrait.

Et pourtant…

Pourtant aujroud’hui, j’ai pris le taxi. Et aujourd’hui, j’ai réalisé qu’en Israël, un chauffeur de taxi, c’est aussi une rencontre. Et parfois, il arrive que cette rencontre soit exceptionnelle, et qu’elle t’aide dans ta quête de
courage. Mais si, tu sais, ce courage dont on a tant besoin lorsque on est à court de savlanout.
Parce qu’ici, on a beau nous dire d’être patient, de vivre au jour le jour, de ne pas se laisser envahir par son angoisse de demain et d’y aller leat leat, il n’empêche que l’on a été éduqué dans un pays où à 13 ans, on nous expliquait que la note de tel contrôle déterminerait tout notre avenir professionnel et personnel.

Alors forcément, même si on adore ça la savlanout, par moment le naturel revient au galop et on aurait bien besoin d’un gros câlin maternel pour continuer d’ avancer. Sauf que quand tes parents sont à 4000 kilomètres, il faut improviser. Et pour ma part, aujourd’hui, il y a eu Avi. Avi c’est le chauffeur de taxi qui m’a amené à Jérusalem quand j’avais un examen à passer. C’est celui qui a insisté pour que je prenne un Ricola, en m’assurant que ça allait me réconforter. C’est celui qui s’est arrêté devant Aroma en me disant « va chercher un café, t’as pas l’air assez réveillée ». C’est lui qui m’a demandé si je connaissais Amir Benayoun et qui m’a fait découvrir sa reprise de Tchaïkovski pour me calmer. C’est lui qui lorsque l’on est arrivés, m’a dit de sourire, de ne pas m’inquiéter, que « bezrat hachem » ça allait bien se passer et que même si c’était pas le cas, « maintenant, tu as fais ton alyah, tu es à la maison, hakol hiyé tov ». Il m’appelait « ma fille » et il s’inquiétait comme un père. Et moi j’ai compris que c’était ça, ce que ça voulait dire, être à la maison.

 

[avatar user=”Lizzie” size=”thumbnail” align=”left” link=”https://rootsisrael.com/auteur/lizzie/” target=”_blank”]ELISABETH PHILIPPE[/avatar]

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