Ici chez Roots, tu t’en doutes certainement cher lecteur, on aime Israël. Et justement c’est parce que nous éprouvons tous cet amour fou pour cette terre, pour son drapeau,  pour son nom qui nous unit dans la prière, qu’il faut pouvoir prendre le temps de s’arrêter, d’oublier tous nos soucis quotidiens, et de dire : Ça ne va pas.

Ça ne va vraiment pas.

27 Nissan, 10h00. Une nation toute entière s’arrête et s’unit dans le silence pour se souvenir. Ce sont 6 millions de vies anéanties qui laissent à tout jamais l’âme du peuple juif incomplète.

J’essaye de trouver, d’inventer, depuis que je suis petit, un moyen de revenir dans le temps, de tuer Hitler, de tuer les Nazis, leurs collaborateurs, de sauver mes frères.

Que reste-t-il de ces petits villages de Galicie ou de Pologne ? Du cordonnier poète et de l’horloger philosophe ? Où sont-elles ces synagogues de bois qui furent par centaines, par milliers ?

Ils ont disparu à tout jamais.

C’est une réalité déchirante, d’un monde englouti par la folie et par la haine. Rien ne les ramènera. Ils étaient 6 millions.

Et puis voilà que quelque chose me vient à l’esprit : Et ceux qui ont survécu ? Ceux qui on vu leur monde s’effondrer et qui par miracle, par le plus pur des hasards, sont ressortis du gouffre de la Shoah ?

 

Ils sont en Israël 193000. 193000 survivants, parfois les seuls de familles ou de villages entiers.

Sur ces 193,000, pas moins de 50000 vivent dans la pauvreté, 40% vivent dans la solitude, et 1 sur 5 doit choisir entre se nourrir ou acheter des médicaments.

Écoute ô peuple d’Israël, toi qui as fait fleurir le désert, qui as fait prospérer la terre vers laquelle, pendant 2000 ans, tu t’es tourné avec l’espoir d’y revenir vivre un jour. Quel échec pour toi État Juif d’abandonner ceux que tu avais pour mission de protéger.

193000. Et c’est en moyenne 35 d’entre eux qui disparaissent chaque jour. 35 survivants qui meurent dans le plus grand anonymat. Le calcul est vite fait. À ce rythme là, dans 15 ans il n’en restera plus un seul.

 Il existe en Israël, une association du nom de « AdoptASafta » (adopter une grand-mère). Elle s’occupe de mettre en relation un survivant de la Shoah et un nouvel arrivant. L’un adopte l’autre. Des soucis, des obligations, un travail, des enfants, une famille, nous en avons tous. Qu’est-ce que cela nous coûterait d’adopter un d’entre eux, d’aller le voir une fois par semaine, deux fois par mois, une heure ou deux, pour leur parler, leur apporter une repas, peut-être même se promener avec eux. En une phrase, tout faire pour qu’ils ne soient pas seuls.

 

Me voilà bientôt militaire, les permissions seront rares et précieuses. Et pourtant, pour rien au monde je ne passerai mon temps libre avec une autre personne que le survivant que je vais adopter.

Hier cher lecteur, j’ai rencontré une de ces survivantes adoptées. Une petite dame âgée, mais d’une force que jamais je n’aurai. Elle est sans famille en Israël aujourd’hui. Nous étions autour d’elle, tous ceux qui étaient avec moi, ont lu le Kaddish, se sont tus, et ensemble nous avons chanté l’Hatikvah. Jamais pour moi la phrase « être un peuple libre sur notre terre/terre de Sion et de Jérusalem » avait résonné avec tant de force, et d’émotion. Et puis voir cette dame repartir avec une jeune femme venue d’un tout autre continent, qui  tenait le bras comme sa propre petite fille, voilà ce qui sans doute lui donnait la force de vivre encore.

Jamais nous n’oublierons ce qu’il s’est passé, ce monde disparu, ces vies volées, broyées… Mais n’oublions pas, ce qu’il reste d’eux.

(188)