[avatar user=”Lauriane ITOUA” size=”thumbnail” align=”left” link=”https://rootsisrael.com/auteur/l-i-m/” target=”_blank”]LAURIANE ITOUA[/avatar]

On n’a pas encore eu le temps de faire connaissance que ça y’est vous vous cassez ? Mais attendez, s’il vous plaît, ne partez pas comme ça. Avant de boucler vos valises et de finaliser les formalités auprès de l’Agence Juive (qui va devoir délocaliser son standard au Maroc tant vous les harcelez pour vous renseigner sur l’Aliyah), laissez-moi vous parler. 2000 ans d’exil, vous n’êtes plus à 5 minutes près ?

 

Il y a quelques semaines j’étais au Théatre Edouard VII à Paris pour le spectacle de Michel Boujenah. Il nous a raconté son enfance. Il nous a raconté sa vie mais surtout il nous a raconté son départ, celui de Tunisie. “On nous a pas retenus…”. Non, de Tunisie on ne vous a pas retenus, c’est le moins qu’on puisse dire. Et de France, vous retient-on ? Pas vraiment, ou alors pour les mauvaises raisons peut-être. Et puis ce n’était pas au gouvernement de vous retenir c’était à nous. Certains se sont offusqués que Manuel Valls ose dire que la France sans les Juifs n’est plus la France. Et pourtant, c’est vrai, ce ne sera plus pareil sans vous. Vous allez manquer.

 

Vous allez me manquer et pourtant on ne se connaît pas, ou alors si peu. J’ai bientôt trente ans. J’ai grandi en France, en banlieue parisienne, à Grenoble et en banlieue lyonnaise. On dit que vous êtes partout, vous les Juifs, et pourtant je ne vous ai pas beaucoup vus. Vous étiez là bien avant moi, je suis arrivée en 1989. Il m’a fallu plus de 25 ans pour apprendre à vous connaître, c’est dire si vous êtes discrets. On vous en ferait presque le reproche. Oui là encore on pourrait dire : “Ah ces Juifs ils se cachent !” Ils sont partout, ils se cachent. Quoi que vous fassiez, on trouvera à dire, c’est vrai.

 

Mon plus grand regret et je pense que la faille s’y trouve, c’est de ne pas avoir séché les cours avec vous, de ne pas avoir fumé mes premières clopes en cachette dans le fond de la cour avec vous, de ne pas avoir remarqué votre absence au collège le jour de Yom Kippour, de ne pas avoir reçu une carte postale d’Eilat, de Tel Aviv ou d’Ashdod pendant les vacances d’été, d’avoir étudié la Shoah dans une classe où personne ne se sentait directement concerné (mais pourtant encore attentifs à cette époque), c’est aussi de ne pas pas avoir eu à galérer à trouver un resto ou un supermarché casher en province et de m’être indignée des prix en me disant que pour une barquette de charcuterie et un steak moi je fais des courses pour le mois. Et puis j’aurais connu votre humour et votre auto-dérision car je sais que si je vous aurais ajouté : “Tu m’étonnes que les Juifs soient riches, faut voir le prix de leur bouffe, t’as intérêt de faire des heures sup’ si tu veux manger autre chose que des pommes de terre”, que ça vous aurait fait rire et que non vous n’auriez pas crié à l’antisémitisme.

 

Mais voilà, déjà avant de partir, vous n’êtes pas venus à mon anniversaire. Pourtant je vous jure sur la Torah d’Israël que je n’avais pas mis de gélatine dans mon gâteau. Vous n’êtes pas venus dîner et la vérité j’avais changé la vaisselle et proscrit le fromage rapé dans les pâtes bolo. Je vous jure que c’est vrai. Mais vous n’étiez pas là. Trop occupés sans doute à organiser une bar mitsvah à laquelle je n’ai pas été invitée. Votre absence n’est pas d’aujourd’hui, il n’y a pas assez de Juifs en France, voilà tout ! Je ne vous dirai pas “Merci pour ce moment” car pour vous trouver j’ai dû aller très loin, là où encore on ne vous connaissait pas ou mal. C’est dingue ce que vous vous faites désirer. C’est dingue ce que vous allez me manquer. Je ne vous retiendrai pas, je viendrai vous voir là-bas. Car là-bas, quoi qu’on en dise (et Dieu sait qu’on en dit !), personne ne se sent de trop (pas plus qu’en France ou ailleurs). Je passerai sur les coups de 16h00 un vendredi pour préparer un Shabbat Presque Parfait. Je ne viendrai pas les mains vides, je vous apporterai ce qui d’ici vous manque le plus : des produits bien français que vous ne boycotterez pas parce que vous n’êtes pas cons et que vous adorez ça. Je rendrai à César ce qui lui appartient, cette fameuse Madeleine de Proust (elle était casher au moins cette madeleine ?). Et tous ensemble, on se remettra de notre jeudi soir trop arrosé dans les rues de Tel Aviv. On soignera le mal par le mal avec le Kiddoush et on se souviendra de tous les moments qu’on a pas passés ensemble, en Galout.

Bon voyage à ceux qui partent, et à bientôt les amis.

 

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