Certains pensent que ce qui définit le Juif est la haine que les autres lui porte… et ça, je l’avais bien compris. Mais ça ne pouvait pas être que ça.

A 16 ans, je suis parti de Bretagne, j’y ai grandi, comme un bon petit “goy” sauf que j’avais “des origines” (par ma mère)… et mes “camarades” de classe au collège se sont bien chargés de me le rappeler…  et pourtant j’étais triste de partir de Rennes… et je ne savais pas pourquoi.

Je n’étais pas un Juif de Kippour… j’étais un Juif de Noël. L’assimilation dans ce qu’il se fait de mieux…

Si je suis redevenu juif, c’est grâce à une femme, celle qui est la mienne aujourd’hui. J’avais 21 ans… elle n’était pas juive et voulait le devenir. Je l’étais… et ne savais pas encore que je devais le devenir.

– Tu viens à la syna avec moi? Me demanda-t-elle

– Je n’sais pas… pas envie.

 

Normal, à 21 ans je n’avais jamais mis le pied dans la moindre synagogue de ma vie. Enfant, lorsque j’avais demandé qui était Dieu, on m’avait emmené à l’église. Il y avait Jésus. Il était crucifié sur une croix. Je compris plus tard que ce lieu n’était pas fait pour moi.

« Alors tu viens? Insista-t-elle

– Ok, ok… »

Je suis rentré ainsi pour la première fois dans une synagogue, pour un office de Shabbat. Je n’ai rien compris. Le judaïsme semblait un jeu de société aux règles obscures… Chacun y suit ses propres règles et tout le monde connait les règles des autres… sauf moi, bien entendu.

J’ai persisté… un peu, puis j’ai commencé à apprendre l’hébreu… un peu.

J’avais décidé de commencer à manger casher, mais j’avais un plan en deux étapes pour dire “Adieu” à tout ça.

J’étais donc allé dans une brasserie avec des amis, pour me faire un gueuleton mémorable: jambon cru, cuisses de grenouilles, escargots, saucissons secs, vins pas cashers, etc.

Adieu jambon de Parme et autres saucissons corses… vous furent de merveilleux compagnons.

 

Seconde étape, je retourne en Bretagne. 

Ça devait bien faire 14 ou 15 ans que je n’y avais pas remis les pieds. Moi et ma future femme arrivons à la gare de Rennes. J’y ai vécu mes 16 premières années. Rien n’a changé et tout a changé… surtout moi. Presque instinctivement, nous refaisons le chemin de ma jeunesse en Bretagne. Je cherche quelque chose… mais je ne sais pas quoi. Nous allons à Saint-Malo, là où j’allais à la plage enfant. Un sentiment étrange en retournant dans tous ces lieux. Ce décalage que je ressentais gamin et que je comprends maintenant.

Nous partons pour Cancale, près de Saint-Malo. Il est temps d’en finir joyeusement. Nous nous installons sur un des restaurants en face de la mer… Je commande mon plateau de fruits de mer… au revoir huitres et bigorneaux.

Le lendemain, nous quittons la Bretagne. Je viens de comprendre ce que je cherchais, qui je cherchais: ce petit garçon que j’étais et que j’avais abandonné ici il y a plus de 14 ans. Il m’attendait patiemment. “Tu viens avec moi, je te laisse pas ici tout seul. J’ai une aventure à te proposer, ça te dit?”. Oui. Il était content et soulagé, il en avait marre d’être ici, sans personne. Nous sommes venus à deux en Bretagne avec ma femme. Nous repartions à trois.

Lors de mon premier séjour en Israël, j’ai 26 ans. Juste avant l’atterrissage, je regarde par la fenêtre. Je ne peux pas détacher mon regard de cette terre. On sort de l’avion et puis… Rien. Je suis presque déçu de mon absence d’excitation. Nous faisons les touristes, en quatre jours, Tel Aviv et Jérusalem. Le Kotel, la Vieille Ville. Il fait beau. Je suis content. Nous repartons.

Il me faudra neuf mois, le temps d’une gestation, pour comprendre pourquoi je n’étais pas excité. Est-ce que vous êtes excité lorsque vous mettez la clé dans la serrure pour ouvrir la porte et rentrer chez vous? Non… c’est chez vous. Vous êtes à la maison. C’est normal. Je n’étais pas excité car pour la première je sentais que tout était normal. Comme si j’étais une pièce de puzzle qui trouvait enfin sa place.

Lorsque j’ai commencé à aller à la synagogue, afin de ne pas laisser le moindre doute sur ma judéité, j’avais fait établir un certificat par le consistoire. Opération facile… sauf pour moi.

Branle-bas de combat dans la famille.

– Allo Maman, j’ai besoin de toi.

– Dis moi tout mon fils.

– Est ce qu’il y a un moyen de prouver que je suis juif …

– Attends, je vais voir avec mes cousins et cousines… je te tiens au courant.

 

J’avais pu faire réunir des documents faisant le lien entre moi, ma mère, ses aïeux… mais il fallait démontrer leur judéité.

Toute cette partie de ma famille était basé à San Francisco… c’était dans les années 1900.

Je cherche sur internet une synagogue là-bas, j’appelle:

 

– Allo?

– Bonjour. On m’a dit que vous étiez la plus ancienne synagogue de San Francisco, et j’ai besoin de savoir si à tout hasard, vous auriez des documents sur ma famille datant du  début du XXème siècle. Je n’ai aucune idée s’ils ont fréquenté votre synagogue… voici leur nom et j’ai aussi une adresse.

– Ah, laissez-moi cherchez tout ça. J’ADORE faire ces recherches!

  

Quelques semaines après, j’ai reçu une grosse enveloppe en papier craft, avec des copies de documents datant de 1903 et 1906, avec les noms et adresse de mon arrière-grand-mère et de sa soeur, adolescente, leurs noms figurant sur l’annonce d’un spectacle sur Hannuka…

Peu de temps après, un cousin de ma mère, de passage à Paris, vint me voir avec une autre enveloppe. Il avait les copies de plusieurs documents sur mon arrière-arrière-grand-mère, ses pérégrinations en Amérique, du Mississipi à San Francisco, en passant par le Panama.

Si je devais démontrer ma judéité, ces documents ne suffisaient pas. 

Il subsistait un gros problème… ce prépuce.

Je n’étais pas circoncis, et je devais l’être pour avoir ce certificat.

« Voici le nom de deux urologues, allez les voir pour régulariser tout ça» me dit le rabbin du Consistoire.

Je me pointais chez le premier. Luxueux cabinet dans le 8ème arrondissement de Paris, dorures et boiseries au plafond. J’attendais un moment dans l’immense salle d’attente.

Le docteur vint me chercher. Il leva les yeux et je vis un strabisme divergent.

« Toi, hors de question que tu t’approches de ma bite avec un scalpel.» me dis-je. Je pris rendez-vous avec le second urologue, six mois d’attente, autre ambiance, celle d’un hôpital public.

Il avait le regard droit. J’étais rassuré. Il m’examina.

– Vous avez été opéré d’un phymosis plus jeune?

– Oui…

– Le sang a coulé, il n’est pas obligatoire d’en faire plus.

– Quoi????

– Mais si vous voulez qu’on enlève tout, voici le nom d’un urologue qui pourra le faire”

 

Eh hop, troisième urologue… cette fois-ci, c’était la bonne.

Le rendez-vous pour la brit mila fut pris à l’Hôpital Américain de Paris.

Pourquoi la brith mila? Je suis Juif, ni par choix, ni par obligation, c’est comme ça. On ne peut pas fuir sa judéité. Il faut l’assumer, à sa manière… La mienne, c’est cette brit mila. Mon père n’étant pas juif, il n’avait aucune obligation de me le faire. Cette responsabilité n’incombait donc à personne d’autre qu’à moi-même.

Le matin, avant l’opération, je me regardais dans le miroir… avant le grand changement.

“Bon, dis-je à mon prépuce, on a fait un bout de chemin ensemble… mais tu as toujours été un peu un fardeau… sans rancune?”

On vint me chercher pour m’emmener en salle d’opération, je voulu faire une blague, comme on donne une recommandation à un coiffeur, “Bon, vous me faites une coupe, et bien dégager derrière le gland.”

Après, quelle légèreté… Pourtant retranché d’une partie de mon corps, je me sentais enfin complet.

Je me présentais enfin devant le rabbin au Consistoire. Il observa tous les documents. Il regarda… puis me jetta un oeil. Se replongea à nouveau dans les documents. Il sortit un tampon, le frappa sur un feuille, me regarda, me fit un grand sourire, me dit Mazal Tov… J’étais officiellement dans le “club”.

 

Plus tard, je demandais à ma femme:

– Tu voudrais qu’on aille vivre en Israël?

– C’est marrant, me dit-elle… j’allais te poser exactement la même question…

 

Nous sommes retournés une semaine en Israël afin de voir, de vérifier, de nous rassurer… Nous sommes allé voir Ashdod… Nous avons détesté, Tel Aviv nous semblait moche. Nous sommes allés à Jérusalem au moment d’un attentant… Nous n’étions pas découragés.

Notre fille, Sarah, était née depuis un an et demi quand nous sommes montés en Israël et les dernières étapes de ce long processus étaient en train de se finir.

En Israël, je pris un nouveau nom. Je serais Israel Tavor. En réalité, j’ai juste repris une identité dont j’avais été si longtemps privé.

Ma femme entama un processus de conversion avec le Beth Din.

Aucun de nous qui sommes nés juifs ne pouvons dire “Je suis fier d’être Juif.” Fier de quoi? Nous n’avons fait aucun effort pour être Juif, nous ne pouvons que dire “Je suis humble d’être Juif.” Seul les convertis peuvent dire “Je suis fier d’être Juif”… eux, et personne d’autre.

Mon fils, Na’hshon est né, le premier en Terre d’Israël.

Dans la Torah, c’est le nom de celui qui est entré dans la Mer Rouge jusqu’à ce que l’eau lui arrive à la tête, avant même qu’elle s’ouvre… N’est ce pas le nom parfait pour le fils d’Olim? Avoir confiance, même quand on a la tête sous l’eau…

 Le jour de sa Brith Mila, je calculais depuis combien d’années dans la famille quelqu’un n’avait pas été circoncis religieusement à huit jours… moi, mon grand père? Mon arrière grand père?… Cela faisait sans doute plus d’un siècle…

Mais aujourd’hui, avec humilité, je suis du peuple d’Israël, je m’appelle Israel… et je vous écris d’Israël.

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