L’avion venait d’atterrir sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion. IL débarquait à Tel-Aviv au moment même ou j’embarquais pour Paris. Le destin se jouait de nous de la manière la plus ironique…

Six mois plus tôt, j’avais décidé d’un retour aux sources. Je rejoignais enfin mes parents et mon frère pour qui le choix de la vie au soleil s’était imposé depuis plusieurs années déjà. Il m’avait fallu plus de temps ; j’avais probablement une histoire à boucler avec la France et plus particulièrement avec Paris. Et quand je fus enfin prête à changer de vie, il ne m’avait fallu que quelques semaines pour tout organiser.

Je me préparais à débarquer à Tel-Aviv, pleine d’espoir et persuadée que quelque part dans la ville blanche m’attendait un bel apollon Israélien, que j’allais épouser et avec qui j’aurai au moins quatre beaux enfants.

Mais les choses ne s’étaient pas exactement passées comme je l’espérais. Ma volonté de vivre au pays où coule le lait et le miel restait intacte mais personne ne m’attendait pour m’épouser et me faire des enfants ! J’étais pourtant prête à faire des concessions sur la plastique de l’apollon, concessions de plus en plus notables au fil des “dates” et des semaines qui s’écoulaient sur mon célibat.

Dans un souci de transparence et d’honnêteté, je dois avouer que j’avais peut-être présumé de ma capacité de séduction dans un dialecte mêlant un anglais approximatif à un hébreu au vocabulaire d’un enfant de trois ans et demi!

Et dans un souci de transparence et d’honnêteté total, je dois avouer que ma tête et mon cœur refusaient obstinément de montrer la moindre bonne volonté lors de ces rendez-vous qui n’avaient rien de galant!

Tout ça, c’était la faute du destin…

La veille de mon départ définitif pour la Terre Promise, mes amis avaient organisée une soirée d’adieux. Tout le monde était là. Mes amis d’enfance, mes amis de la Sorbonne, mes amis et collègues de Radio Chalom. Même mon éditrice de chez Acte Sud s’était déplacée. Je lui étais reconnaissante de la confiance qu’elle me témoignait en me permettant de vivre de ma passion et de pouvoir m’exiler en toute sérénité. Le succès inattendu de mon premier roman, en plus de nous surprendre toutes les deux, avait accéléré la possibilité d’un départ.

La soirée était déjà bien avancée et la boule dans ma gorge grossissait à mesure que mes amis me félicitaient pour ce qu’ils considéraient être un acte de courage. Pourtant, je n’en menais pas large. J’essayais tant bien que mal de dissimuler mon émotion et même si je me réjouissais de cette nouvelle vie à venir, les laisser tous derrière moi était difficile. Ma meilleure amie Yaël nous hébergeait, la soirée et moi car je n’avais plus d’appartement. IL fit irruption alors que nous n’étions plus qu’une dizaine à refuser que la fête se termine car nous ne savions pas quand nous serions à nouveau tous réunis. IL accompagnait Jeremy, le fiancé de Yaël. C’était pourtant la première fois que je le croisais. IL nous fut présenté comme le meilleur pote de tous les temps qui rentrait tout juste d’Israël où IL avait passé huit ans dont trois dans un commando parachutistes de Tsahal et cinq au Technion. IL venait de sortir major de sa promo. Jeremy en était aussi fier que s’il avait accompli tout cela lui-même!

IL a des yeux verts avec des éclats noisette, et un physique…comment dire? Idéal! Grand, juste ce qu’il faut; musclé, harmonieusement ; des cheveux châtains coupés courts et il dégageait ce soir-là un mélange de confiance et d’humilité et…IL me regardait le regarder! Je détournais la tête et entamais une conversation avec Emma, une amie de fac. Je n’entendais absolument pas ce qu’elle me racontait à propos de son cousin qui avait lui aussi fait son alya, bla, bla, bla… Toutes mes pensées étaient tournées vers LUI et je ne comprenais pas pourquoi IL engendrait en moi ce tsunami de sensations. J’avais besoin d’un verre. Je me dirigeais vers le buffet et me servais un fond de verre de Champagne que je m’enfilais cul sec avant d’aller prendre l’air sur le petit balcon du petit deux pièces de Yaël.

Accoudée à la balustrade, je regardais Paris, cette ville que j’aimais tant et que j’avais décidé de quitter pour un pays que j’aimais davantage encore. Et alors que j’étais un peu perdue dans mes pensées, un peu nostalgique, IL se matérialisa à mes côtés. La terrasse était baignée par le clair de lune. Et alors que mon cœur s’emballait, c’est tout à fait calmement qu’IL me demanda si j’appréhendais le changement de vie dans lequel j’avais décidé de m’engager. Ce fut le point de départ, une fois mon rythme cardiaque redevenu normal, d’une conversation qui dura toute la nuit. Elle fut entrecoupée du rangement de l’appartement, du bouclage de mes bagages et de la préparation d’un petit déjeuner gargantuesque pris à six heures du matin avant un départ groupé pour l’aéroport.

Deux heures plus tard, IL était toujours là. Je ne le connaissais que depuis la veille et pourtant, sa présence avait quelque chose de rassurant. IL m’apaisait et à ce moment précis, il me semblait que je n’avais besoin de rien d’autre que d’apaisement. Grace à LUI, ce départ se faisait tranquillement, en douceur. Puis, juste avant l’embarquement, nous échangions nos numéros. IL me garantissait que j’allais vivre l’aventure la plus extraordinaire de ma vie et me faisait promettre d’y plonger sans retenue et avec passion. L’hôtesse appelait les retardataires à se diriger vers la porte d’embarquement. J’embrassais tous ceux qui avaient passée avec moi cette nuit inoubliable, essayant d’ignorer la boule qui m’obstruait la gorge. Incapable de prononcer le moindre mot sous peine d’éclater en sanglots, je m’approchais de LUI et dans ses yeux, j’ai lu qu’IL comprenait. IL prit ma main dans la sienne, replaça une mèche de mes cheveux et se pencha pour déposer sur mes lèvres le plus tendre et le plus chaste des baisers. Puis IL me chuchota dans l’oreille que nous allions très vite nous revoir.

Me voilà donc six mois et quelques trois millions de SMS plus tard faisant le trajet en sens inverse persuadée d’aller surprendre l’homme de ma vie. J’avais découvert, au fil de nos échanges, un homme avec qui je me sentais totalement en phase et je devais passer maintenant à un contact autre que virtuel. Je n’avais cependant pas imaginé que cette connexion qui existait indéniablement, nous conduirait à une situation aussi grotesque. Car existe-t-il plus ridicule que d’embarquer dans un avion qui décolle au moment même ou IL débarque d’un avion qui atterri? Et en même temps, pouvons-nous imaginer situation plus romantique?

Tout ça, c’était la faute du destin…

Je débarque donc à Paris quatre heures et demie plus tard surexcitée à l’idée de LE revoir enfin. Je rallume mon téléphone pour appeler Yaël et lui raconter mon plan génial. Mais avant d’avoir eu le temps de composer son numéro, mon écran affiche dix-huit messages. Dix de LUI et huit de Yaël . Nous avions eu la même idée du même plan génial en même temps, de surprendre l’autre. Dans ses messages, IL m’écrivait sa frustration de devoir encore attendre avant de pouvoir me serrer dans ses bras ; IL me demandait de ne rien faire, d’aller chez Yaël et de l’attendre. IL prendrait le prochain vol retour. Et c’est exactement ce que je fais. Je saute dans un taxi et une heure plus tard, j’arrive chez mon amie qui, en me voyant, ne peut retenir un fou rire. Elle trouve que toute cette histoire est la preuve irréfutable que nous sommes faits l’un pour l’autre. Quant à moi, je ne peux m’empêcher de penser que c’est, au contraire un rendez-vous manqué, que nous essayons peut-être de forcer un destin qui refuse de nous réunir. L’excitation que je ressentais à la descente d’avion s’est maintenant transformée en un doute qui m’envahit et me tétanise.

Il est une heure du matin. Je suis incapable de trouver le sommeil. La neige tombe depuis presque deux heures et dehors, un manteau blanc recouvre déjà les trottoirs parisiens. Je suis recroquevillée dans un plaid sur le canapé quand mon téléphone bipe enfin pour me signaler un nouveau message.

IL est là, à Paris. Enfin ! IL me demande si je suis d’accord pour LE rejoindre tout de suite sur le Pont Alexandre III et laisser nos cœurs et le destin décider de la suite des évènements de cette nuit. Je LUI réponds que bien que le destin semble s’obstiner à se moquer de nous, je suis d’accord pour le défier. Je LE retrouverai dans une heure.

Quand je descends du taxi une heure plus tard, IL est déjà là. J’ai le trac. Et si on s’était trompé ? Et si on avait idéalisé et fantasmé cette histoire ? Et si la réalité s’avérait décevante ? Et si… IL se retourne, nos regards se croisent et tous mes doutes s’envolent. IL s’approche, prend ma main dans la sienne, replace une mèche de mes cheveux, se penche vers moi et dépose sur mes lèvres, le plus tendre et le plus chaste des baisers.

Il est presque trois heures du matin, la température est de -3° mais nous n’avons pas froid. Nous savons tous les deux ce que le destin et nos cœurs ont décidé pour le reste de cette magnifique nuit et peut-être même pour le reste de notre vie…

Sept jours plus tard, nous sommes assis côte à côte.

« Mesdames et Messieurs, dans quelques minutes, nous allons atterrir à L’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv. Veuillez attacher vos ceintures et relever vos tablettes. Il est 14 heures 05, la température extérieure est de 21° Celsius avec un léger vent d’ouest. Veuillez rester assis jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil. Merci »

IL est là, près de moi. Et je me sens enfin prête à plonger dans cette aventure extraordinaire de l’alya, sans retenue, avec passion, avec LUI.

Tout ça, c’est grâce au destin…

L’avion vient d’atterrir sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion…

 

Galith Benzimra. 

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