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« Trois mères de famille se réunissent pour jouer au mah-jong et se vantent de la façon dont leur fils les gâtent.

 

  • Moi, dit la première : mon fils m’adore tellement qu’à mon dernier anniversaire, il m’a donné un magnifique manteau pour l’hiver.
  • Moi, renchérit la deuxième, le mien a fait mieux. Il a économisé pendant un an pour m’offrir une croisière dans les Antilles.
  • Mon fils, assène la troisième, il est encore plus extraordinaire : trois fois par semaine, il va chez le psychanalyste, et il le paye uniquement pour lui parler de moi. »

 

Lorsque Rébecca débarque au paradis, elle est accueillie par 7 mères juives et pas n’importe lesquelles s’il-vous-plaît. Il y a la mère d’Albert Cohen, celle de Marcel Proust, des Marx Brothers, de Freud, d’Einstein, de Romain Gary et de Woody Allen. Toutes vantent une à une les talents extraordinaires et les qualités exceptionnelles de leurs fils respectifs. Chacune son tour, elles se défendent d’avoir été excessives, reconnaissent parfois qu’elles aient pu être insupportables et revendiquent haut et fort leur amour sans limite. Mais c’est quoi au juste une mère juive ? «C’est quelqu’un qui se lève pour que son enfant retrouve son lit fait, quand il va faire pipi au milieu de la nuit.» 

 

Dans le roman de Nathalie David-Weil, « Les mères juives ne meurent jamais », on est amené à se poser une question à laquelle toi, lecteur, tu as peut-être la réponse : est-ce la mère juive qui fait le génie ou le génie qui fait la mère juive ? L’œuf ou la poule ? Qui a commencé ?

 


 

Une mère juive c’est plus qu’un cliché, plus qu’un concept, plus qu’une expression, ce sont des symptômes qui se contruisent étape par étape et qui se transmettent de mère en fils. Le Complexe d’Œdipe ? Peut-être…

A travers les dialogues de ces mères d’hommes célèbres on découvre en 13 chapitres, tout un processus, avec ses circonstances et ses failles. Car on le devine, leur fils c’est forcément le plus beau, et les mères, plus mères juives que mères juives jusqu’à l’étouffement, jusqu’à l’épuisement.

 


 

1 – Un paradis réservé aux mères

« Dieu a inventé les mères juives, car il n’avait pas le temps de tout faire. » Proverbe juif.

Au commencement, il y a la mère, celle qui n’a pas le droit de mourir avant son fils, qui de l’au-delà s’en culpabilise, qui regrette de ne plus pouvoir se mêler de ses affaires et surtout de constater que sa vie continue sans elle. Dans « Le Livre de ma mère », Albert Cohen reproche avec la virtuosité qu’on lui connaît, à sa mère de l’avoir quitté, jusqu’à douter de son amour.

 

2 – L’ai-je trop couvé ?

« Elle me bénissait sacerdotalement et regardait presque animalement, avec une attention de lionne, si j’étais toujours en bonne santé ou, humainement, si je n’étais pas triste ou soucieux. » Albert Cohen

Dans mère juive il y a dévouement, excès, invasion, impudeur, intrusion, sacrifice, il y a cette mère qui reste debout dans le couloir, qui guette les respirations de son fils à travers le mur de sa chambre, comme Jeanne Proust dont le fils en témoigne dans « A la recherche du temps perdu ».

 

3 – Et les maris ?

« Mon mari décide de tout : s’il faut croire en Dieu, pour qui voter, et moi je fais le reste : combien on dépense, où l’on part en vacances, où les enfants vont à l’école, ce que l’on mange… » Proverbe juif

 

Le mari c’est l’associé, la vitrine familiale que l’épouse fait briller. Celui qui ressemble au fils et non le contraire : comme Jacob, le père de Sigmund, fût-ce-t-il infidèle, Amalia ne s’en souciait pas. Il aimait ses filles, elle aimait son fils.

 

4 – L’exil

« Le premier rapport entre l’enfant et la civilisation, c’est son rapport avec la mère ». Romain Gary

Dans chacune des mères juives il y a l’exil, à cause de la guerre qui arrive, de l’antisémitisme qui revient, de l’argent qui se perd ou des affaires qui se gagnent. En Russie, à Varsovie, à Marseille, de Paris ou de Corfou, de Londres à Jérusalem. La mère de Romain Gary, elle, s’est obstinée à transporter le bonheur de son fils entre la Russie et la Côte d’Azur, passant de « juifs dans la société russe à athées parmi les juifs ».

 

5 – Mon préféré

« Quand on a été sans conteste l’enfant de prédilection de sa mère, on garde pour la vie ce sentiment conquérant, cette assurance du succès qui, en réalité, reste rarement sans l’amener. » Sigmund Freud

 

Le fils, c’est celui qui ne sera jamais une mère juive, qui ne remplacera jamais la sienne. C’est l’enfant-roi, le prince, le maître des lieux, forcément plus doué que ses sœurs. Et s’il y a plusieurs fils ? Lequel choisir pour chouchou : l’aîné ? Ce fut le cas pour Chico Marx qui pourtant n’était pas le plus facile.

 

6 – Rebecca

« Des erreurs, j’en ai fait. D’abord, je suis né. Première erreur ! » Woody Allen

 

La mère juive, est tellement perfectionniste dans sa manière de materner qu’elle fout des complexes aux autres et fait germer le doute : « et si je n’étais pas aussi bonne qu’elle » ? C’est la question que Rebecca se pose face à ses mères juives tout en se disant qu’elles en font trop.

 

7 – Tu réussiras mon fils

« Guynemer ! Tu seras un second Guynemer ! Tu verras, ta mère a toujours raison… Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, ambassadeur de France. » Romain Gary

 

A peine leurs fils venus au monde, elles savent qu’ils deviendront de grands hommes, elles connaissent déjà leur destin et de toute façon elles ne leur laisseront pas le choix : à croire que ce sont elles qui le provoquent. En mettant au monde Sigmund Freud, sa mère savait qu’elle créait tout un concept : la psychanalyse. E=mc2 et Prix Nobel sont sortis du ventre de Pauline Einstein.

 

8 – Juif de mère en fils

« Ce qui m’intéresse vraiment, c’est de savoir si Dieu avait un quelconque choix en créant le monde ». Albert Einstein

 

Ce que la mère juive transmets avant tout, c’est cette identité juive dont elle seule a le secret. Et bien qu’ils ne vivent pas cette identité de la même façon, l’héritage est bien là et démmerde-toi avec : la gloire d’un peuple, l’antisémitisme, des mythes, parfois seulement un nom, des traditions, un état, des récits de guerre, des souvenirs de ghettos, une fierté, une appartenance, un défaut, des fêtes, des questions de foi. Quand Woody Allen dit : « Je ne sais pas si Dieu existe. Mais s’il existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. », sa mère acquiesce.

 

9 – Je sais ce qui est bon pour toi

“Mais quand d’un passé ancien rien ne subsiste, seules plus frêles, mais plus vivaces,plus immatérielles, plus persistantes, plus fidéles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps”. Marcel Proust

 

Elle décide de ce qu’il va manger, en profite pour l’infantiliser et surveiller la cacherout : c’est le portrait-type de la mère nourricière. L’intention est la même, seules les recettes changent : boulettes de sépharades ou gelfite fish d’ashkénazes. Et s’il ne veut pas manger viande et légumes dans la même assiette, il aura deux assiettes ! A travers les saveurs, la mère juive nourrit la mémoire : c’est la Madeleine de Proust.

 

10 – Tous malades

« Papa a dit a tout le monde que je n’ai rien et que mon asthme est purement imaginaire . » Marcel Proust

L’asthme de Marcel, l’hypocondrie des personnages imaginés par Woody et sa propre névrose, l’addiction à la coke de Freud, les insomnies d’Albert Cohen, les dépressions de Romain Gary : ils étaients tous malades.

 

11 – Et leur vie amoureuse ?

« Avec l’amour maternel, la vie vous fait une promesse qu’elle ne tient jamais. » Romain Gary

Est-elle belle, est-elle est élégante, est-elle juive ? A-t-il le succès qu’il mérite auprès des femmes ? D’après Romain Gary, chercher l’amour d’une femme quand on a celui d’une mère juive, c’est comme passer son temps à attendre ce qu’on déjà reçu.

 

 

12 – Ils veulent se débarasser de nous

« Très peu de gens survivent à leur mère ». Woody Allen

Entre haine et amour, on découvre un Freud qui décrit une mère terrifiante, archaïque, engloutissante et castratrice. Le même évoque l’amour d’une mère comme « la plus parfaite, la plus dénuée d’ambivalence de toutes les relations humaines » et idéalise la relation mère-fils. Celui qui a donné naissance au Complexe d’Œdipe en voulait-il à sa mère de s’aimer autant ?

 

13 – Nous ne mourrons jamais

« L’absence n’est-elle pas pour qui aime la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? » Marcel Proust

 

Marcel a survécu dix-sept ans à la mort de sa mère qui n’imaginait pas qu’il puisse vivre autant sans elle.

Albert Cohen a écrit l’un plus bels hommages de la littérature française pour sa mère disparue. Dans « Le Livre de ma mère », il écrit : « Ce que les morts ont de si terrible, c’est qu’ils sont si vivants. »

Minnie Marx se força à sourire devant ses fils pour ne pas les inquiéter jusqu’à son dernier souffle.

Toutes se réjouissent d’une seule chose : que l’on parle encore d’elles et que même après leur mort elles continuent de vivre. A l’image du peuple juif et de ses prophètes, de l’humanité, de la lumière : les mères juives ne meurent jamais.

 

Quant au roman lui-même je l’ai trouvé à la fois drôle et enrichissant. Il m’a donné envie de lire le « Livre de ma mère » et relire « A la recherche du temps perdu ».

 

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