Si il y a une période durant laquelle je me sens sur le point d’exploser, c’est bien celle de la fête de Pessah et les jours qui la précèdent.

Depuis des semaines, je fais des efforts surhumains. La mission? Aider ma mère et la troupe d’assaut qui la suit partout, armée d’une quantité gargantuesque de nourriture. Le but? La préparation du Séder de Pessah. 
Cela m’engage bon gré mal gré à participer aux préparations multiples que cette fête nécessite. Sans oublier le Service Clients Téléphonique auquel j’ai été désignée, qui m’obligeait à converser cordialement avec des membres de la famille que j’ai pris grand soin d’ignorer tout au long de l’année.

Selon ma psy, les fêtes, qui devraient supposément nous rendre joyeux, sont souvent une source de stress, d’anxiété et même de dépression. C’est un phénomène qui, dans le jargon professionnel, s’appelle “le blues des fêtes” ou autre terme psychologico-médical dont j’ai du mal à saisir la portée. “Ce genre de dîner, m’explique-t-elle, réserve souvent bien des surprises. C’est typiquement dans ce cadre là que resurgissent les secrets bien enfouis, les rivalités, et les conflits habituellement dus à un manque de compréhension des codes de conduite au sein de la famille.”
Mouais… enfin… je pense que cela a plus avoir avec le fait que l’on devient névrosé au bout de 4 heures entouré par sa famille, et je vous explique mon raisonnement:   

En règle générale, trois semaines avant Pessah, ma mère m’appelle pour me poser la sempiternelle et épineuse question : “Où passes-tu Pessah cette année?”
Pourquoi le terme «épineux» vous demandez-vous? Je vous explique ça de suite. 
Ce genres de questions, d’apparence innocente et candide, sont en fait les prémices d’un long quiproquo, dont le résultat est d’ailleurs connu par avance. Car, Mesdames et Messieurs les lecteurs, il existe un mécanisme bien particulier, transmis de génération en génération, dans le cadre de l’enseignement de la tradition et du patrimoine Juif. Celui-ci vous assure sans même l’ombre d’un doute, que quelle que soit votre réponse, vous aurez tort. Etonnant n’est ce pas?
Mais je m’égare…

Revenons à notre «épineuse» question, et étudions un peu les possibilités qui s’offrent à nous:

1er scénario: Vous dites à votre mère que vous aller passez les fêtes chez votre belle-maman, «la marâtre» comme elle aime l’appeler.
Mère très chère sera systématiquement offensée, car vous y étiez déjà pendant les fêtes de Rosh Hashana, “Je ne comprends pas!! Ses plats ont-ils meilleur goût que les miens?! Même si tu jetais des épices en plein figure de cette Ashkénaze, elle ne saurait pas quoi en faire!!”.

2ème scénario: Vous décidez de passer les fêtes chez votre mère. La belle-doche chuchotera alors à haute voix  “Chaque année pendant les fêtes, je me sens orpheline de mes propres enfants.” Elle soupirera lourdement en vous rappelant, au cas où vous l’auriez oublié, que la solitude pendant les fêtes est devenue insupportable depuis le décès de son grand-père.
Nul besoin de lui rappeler qu’elle n’avait à l’époque que trois ans…

Quoi qu’il en soit, cela ne change rien. Votre mère sera épuisée lors du dîner familial, suite à l’énergie consacrée à la mise en marche du mécanisme de culpabilité, basé sur des raisonnements plus que discutables:
 “Ce n’est pas bien que les petits-enfants ne voient pas leur grand-mère et grand-père.”

 “Tu les a vus au dîner de Shabbat, il y a deux jours.”
” Eu heureusement! Faudrait qu’ils viennent chez moi tous les jours! Ce n’est pas avec votre judaïsme “moderne” et la Halakha de Rabbi De Beauvoir, qu’ils deviendront des bons Juifs!

 

Ainsi, chaque année, lorsque les allergies de mi-saison réapparaissent, resurgit également la SDF (Séance de Droits des Fêtes) de la famille, et se rassemble pour traiter la question existentielle:
Qui a invité qui pour le Séder et où chacun passera la soirée?                                    
Oncle Charlie a déclaré fermement et avec un ton peu menaçant que cette année on passerait tous le Séder chez sa fille, point final, et que la décision était sans appel (car prise par sa femme).
Ma cousine Sarah, la fille d’oncle Jacob, est en vacances semestrielles à Paris où elle étudie. Elle a dit qu’elle avait déjà été invitée par son cousin David, qui est marié à une avocate à qui personne ne peut dire non. Cependant, celle-ci ne parle plus au frère de tante Nicole, car il ne l’a pas invitée au mariage de sa fille Elodie, qui a eu lieu il y a six ans dans un ashram en Inde.
En ce qui concerne tata Valentine (qui n’est pas vraiment une tante), elle viendra avec son fils Jonathan et son nouveau jouet: mari numéro 6.
Par contre, surtout, surtout ne pas oublier de demander à tante Micheline où elle compte passer les fêtes, sinon on risque de la blesser, elle qui est si fragile. Le problème refait surface chaque année, lorsque l’on essaye de prévoir où et comment placer et nourrir ses douze tribus, composées de quatre enfants, six petits-enfants, neuf arrière-petits-enfants et un chat.
Quant à Jérémie, il a dit qu’il viendrait seul mais accompagné de sa fameuse spécialité culinaire dont lui seul a le secret… Il serait temps de lui expliquer que tout poisson cru ne peut passer pour du Carpaccio!!!
Sinon, mon arrière cousin Michaël m’a avoué qu’il aurait bien voulu faire les fêtes avec nous, mais il pense que les parents de Jordana ont déjà prévu quelque chose. Il aurait pu proposer à sa femme de ne pas passer toute la semaine de Pessah chez eux, mais il n’a pas envie de dormir sur le canapé pendant les deux prochains mois.
Pour ce qu’il est de la petite cousine du côté de la mère de mon beau-frère, celle-ci nous a laissé entendre qu’elle voulait passer les fêtes chez nous. Apparemment elle ne supporte plus le Géfilté-Fish de sa grand-mère, et puis de toute façon, le poisson Hraimé de mémé Esther lui manque trop…

MERDE! Mémé Esther.
On a complètement oublié mémé Esther!!!! A croire qu’elle avait raison de nous répéter sans cesse qu’elle avait été jetée dans une maison de vieux, et qu’aucun de ses enfants (dont les accouchements se sont fait dans la douleur et la souffrance) ne s’inquiétait plus pour elle.

Il à finalement été décidé que le dîner de Pessah se ferait chez Laura, car seule sa maison était assez grande pour accueillir autant de monde.
Le calme a repris sa place durant une semaine entière, jusqu’au moment où il s’est avéré que personne n’avait la moindre idée de qui était Laura…
Il a donc été décidé que la soirée aurait lieu chez moi. Ne t’inquiète pas mon chouchou, a dit ma mère, Chacun apportera un plat, tu n’auras qu’à te charger des chaises.” Ce à quoi j’ai répondu que si elle amenait le rôti sec et dur de l’année dernière, j’aurais une chaise en moins à devoir fournir.

Depuis, elle ne m’adresse plus la parole…

A suivre… 

 

 

 

 

 

 

 

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