« Tu prends la rue Borochov, tu poursuis sur Pinsker, quand tu vois la rue Kalisher, tu prends à droite, tu continues tout droit pendant 200 mètres, et une fois sur la rue Szold, tu tournes à gauche. Au rond point, tu tournes sur Trumpeldor et tu avances jusqu’au boulevard Weizmann.. et tu y es. » 

On te rassure, le sionisme c’est pas de la merde, c’était juste pour être sur que tu t’intéresses à mon article.. c’est bon? j’ai capté ton attention?
Si prendre la route en Israël est un trajet géographique, c’est aussi un voyage dans l’Histoire d’un mot. Car tous ces noms portent en eux l’histoire du mot « sionisme » et de son évolution.
Rarement un mot n’aura été le sujet de tant de débat et d’une telle évolution… encore aujourd’hui.
Alors sur le chemin, posons nos valises un instant et regardons le chemin parcouru par ces huit lettres: S I O N I S M E…Le sionisme avant le « sionisme ».

Si le terme « sionisme » a été inventé par Nathan Birnbaum en 1890, bien avant l’invention de ce mot d’autres ont théorisé et mis en pratique le mouvement national juif. Il ne s’agit pas, ici, de faire l’histoire du sionisme, je m’attacherai uniquement à parler du mot et du sens de « sionisme ». Si dès le 18ème siècle le Gaon de Vilna recommandait à ses étudiants de partir vivre en Eretz Israel, je vous invite à vous renseigner surtout sur quelques personnages qui ont influencé plus profondément encore le sionisme tel que le Rav Kalisher, Yehuda hay Halkalay ou Leon Pinsker. Leurs visions et leurs influences seront déterminantes dans ce qui se réclameront par la suite du sionisme, que ce soit dans une vision religieuse, sociale, culturelle ou politique. Il est donc important de rappeler que le sionisme fut un mouvement long, avec une histoire complexe, tortueuse, et c’est cette histoire qui se retrouve dans l’évolution du terme « sionisme » et ceux qui s’y apparentent, tel qu’antisionisme et post-sionisme.

Le sionisme, un terme recouvrant des formes très variées.

Lorsque l’on se plonge dans l’histoire du sens de sionisme, il est amusant de noter une chose: ceux qui hier se réclamaient du sionisme seraient sans doute aujourd’hui considérés comme antisionistes. Que les antisionistes d’aujourd’hui ne sautent pas de joie en se disant « Regardez! même les vôtres sont d’accord avec nous! » car ils se tromperaient lourdement en comprenant pourquoi il y a eu une telle évolution.

Lorsque le sionisme a commencé à se former, il se met en place une sorte de profusion de sens pour le terme sionisme, correspondant aux différentes options politiques et sociales de l’époque. Tout ce joue dans des périodes entre les années 1890 et 1929, et ce qui permettra de préciser et d’éliminer certains significations du mot sionisme seront plus les évènements historiques que les combats intellectuels de l’époque au sein même du sionisme.

1890-1929

Un sionisme social et culturel:
Un sionisme socio-culturel s’est mis en place assez tôt autour des idées de Ahad Ha’Am. La vision de ce sionisme voyait l’émancipation juive avant tout dans un lien culturel avec la terre d’Israel, sans mettre en avant une vision politique. La centralité d’une indépendance juive dans le cadre d’un Etat juif n’avait pas donc l’importance que l’on a pu voir par ailleurs.
Ahad Ha’Am avait une grande crainte: que la présence juive entraine des tensions avec les populations arabes locales (en 1891). Il sera alors un critique de l’option d’un état juif proposé par le sionisme politique, prônant plutôt une état bi-national.

Cette vision bi-national prenait sa source dans l’idée que le salut juif ne viendrait pas d’un sionisme cherchant à sauver les juifs d’un danger physique, mais avant tout d’un danger spirituel: la terre d’Israël portait avant tout une centralité culturelle, et non politique. Dans cette même perspective elle sera suivie par d’autres mouvements tels que le Brit Shalom en 1925. Ce mouvement, se revendiquant pleinement du sionisme, était aussi pour un état bi-national. Il est intéressant de noter qu’aucun des membres du Brit Shalom ne voyait la moindre contradiction entre sionisme et état bi-national.
La déclaration Balfour de 1917 prévoyant l’établissement d’un foyer national juif rentrait, dans la vision du Brit Shalom, parfaitement en adéquation de cette option… car foyer national juif ne signifiant pas automatiquement Etat Juif. Le Déclaration Balfour pouvait ainsi satisfaire tout le monde, sioniste culturel et sioniste politique, chacun y voyant ce qu’il souhaitait.
Dans cette mouvance socio-culturel, tout un ensemble d’intervenant sioniste se retrouvait: Il y avait donc des Marxistes-sionistes, comme Ber Borochov (1917) pour qui l’émancipation juive rentrait dans le cadre d’une émancipation générale des peuples: sa vision du nationalisme juif se faisait en terme de lutte des classes.
De même, il y a eu dans ces premiers temps du sionisme des mouvements anarchiste-sionistes dont l’un des meilleurs représentants fut Joseph Trumpeldor, qui, ironie de l’Histoire, finira par devenir l’un des héros de la droite israélienne du fait de sa mort au combat en 1920 à Tel Hai ! 
Mais si le mot sionisme trouve son origine dans « Sion » à Jérusalem, certains, tel que Israel Zangwill, n’hésitèrent pas à prôner une option hors de la terre d’Israël, voyant avant tout l’urgence d’offrir un lieu de refuge pour les Juifs… cette option sera d’ailleurs finalement rejeté en 1906. Le mot sionisme restera attaché à Sion.

Un sionisme politique.
L’autre versant, dans ces années 1880-1930, sera le sionisme politique, dont son plus célèbre représentant est Theodore Herzl. Il prône donc le sionisme tel que nous le connaissons, un état Juif… ou un état des Juifs? Car dans l’opposition entre Herzl et Ahad Ha’am, entre sionisme politique et sionisme culturel, on pourrait y voir une opposition entre le JudenStaat (Etat des Juifs) de Herzl, dont le but est quantitatif, et l’Etat Juif d’Ahad Ha’Am, avec un objectif plus qualitatif. Pour Ahad Ha’Am la question est « Pourquoi faire venir tant de juifs si ce n’est pas pour qu’ils soient profondément juifs? ». Pour Herzl, le sionisme se comprend comme l’accord des droits politiques aux Juifs avant tout en tant que peuple, en tant que collectivités, la dimension spirituelle étant pour lui largement secondaire.

Mais il faut noter deux points: Herzl avait parfaitement connaissance de la traduction en français de son livre sous le titre « Etat juif » et jamais il ne s’opposa à cette traduction. Second point, les tenants de la ligne sioniste culturel ont accusé Herzl de négliger la présence arabe et les difficultés que cela entraineraient, ce qui est faux à la lecture de son second ouvrage « AltNeuland ».
Ce sionisme politique se divisera lui même, entre les tenants d’un Eretz Israel incluant la Jordanie actuelle, et ceux qui accepteront le plan de partage de 1920. Les tenants du grand Israel, avec à leur tête Jabotinsky, exigeront la révision du sionisme et se feront appeler sionistes révisionnistes. Si l’idée d’un Israel au delà du Jourdain peut sembler incongrue aujourd’hui, il ne faut pas oublier qu’il y avait eu des yishuvim (Amidon, Tiferet Binyamin, Havat Gilin) fondés entre 1882 et 1903 au delà du Jourdain, le tout était sous administration ottomane. Tous ces juifs en furent expulsés en 1948.

Ainsi dans toutes ses acceptions du mot sioniste, on voit, en miroir, ce qu’est l’antisionisme, c’est ce refus d’une émancipation juive hors des pays dans lesquels se trouvent déjà les Juifs. Pour cet antisionisme, le Juif ne peut se libérer que là où il est déjà.

Sur toutes cette première période, c’est un foisonnement de vision de l’avenir sioniste du peuple juif, mais des évènements externes vont modifier et réduire l’éventail de significations du terme « sionisme ».

1929 – 1967

La date de 1929 correspond à un évènement: le massacre des Juifs d’Hébron. Cet évènement aura des conséquences directes sur le sionisme social et culturel et en particulier sur le Brit Shalom. L’un de ses membres les plus importants, Arthur Ruppin, qui dans les valeurs d’Ahad Ha’Am prônait un état bi-national, démissionnera du Brit Shalom, prenant acte de l’impossibilité d’une coexistence judéo-arabe et se rapprochant du sionisme politique et de son héritier après Herzl, Haim Weizmann. Le Brit Shalom cessera d’exister en 1933.

Il faut noter un point concernant le Brit Shalom: il n’aura jamais plus d’une centaine de membres, et, je n’ai pas réussi à trouver un seul de ses membres qui n’était pas juif, comme si cette volonté affiché et organisé de coexistence n’avait trouvé écho que chez les Juifs.
En 1942, Henrietta Szold avec quelques autres, relancera l’idée au sein du parti Ihud, mais sans succès, constituant l’exemple même de l’échec et de la faiblesse de ces intellectuels tentant de s’approcher de l’action politique.
La suite de la période mettra en avant la prédominance du sionisme politique. La Grande Révolte Arabe de 1936 à 1939 ne fera que renforcer ce sionisme politique réduisant considérablement les autres tendances du sionisme. La Shoah sonnera comme l’avertissement final que les sionistes politiques avaient  lancé et leur donnant raison et laissant face à face les deux hémisphères de ce sionisme: sa tendance socialiste-modérée et sa tendance révisionniste, chacun campant sur ses propres positions.
En 1948, Israël existe… le sionisme a atteint son but premier.
L’antisionisme, de son côté se précisait également, en devenant de plus en plus affiché comme un refus d’accorder une égalité des droits politiques au peuple Juif, et les mouvements antisionistes s’opposant à l’existence d’Israël (que ce soit à l’extrême droite ou à l’extrême gauche) voyait leur caractère antisémite totalement évident.

1967 à aujourd’hui.


La guerre des Six Jours va bouleverser la donne et faire revenir l’un des aspects du sionisme socio-culturel… sous une forme inattendue. Ceux qui venaient en Israël avant 1967 avait certes un état juif… mais avant tout un état des Juifs. La conquête et la libération de Jérusalem vont sonner comme un réveil. Le mot SIONISME va reprendre sa route.
Dans ce mouvement, la partie droite du sionisme va concrétiser sa volonté en mettant en place la construction de nouvelles communautés et villes sur les territoires conquis en 1967.
En 1973, le Likud remplace le Herout, abandonnant par la même dans sa vision sioniste la volonté de voir la Jordanie intégrée à Israël. La réunification de Jérusalem entrainera dans son sillage tout un mouvement de résurgence messianique et d’intérêt autour de cette affirmation de judéité. On y retrouve cet aspect socio-culturel que souhaitait tant Ahad Ha’Am, mais sans l’aspect bi-national.
Aujourd’hui encore, Israël constitue le premier lieu de pensée et d’études juives dans le monde et le renouvellement spirituel de toute une partie des Israéliens, qui auraient surpris ceux qui aurait connu un Israël bien plus laïc dans les années 50 – 60… et même Herzl!
Ceux qui réclament un état bi-national sont aujourd’hui classés parmi les antisionistes du fait qu’un état binational mettraient automatiquement fin à un état juif… et les promoteurs d’un état bi-national ne nient d’ailleurs pas systématiquement leur anti-sionisme.
Mais le terme antisionisme est aussi étrangement utilisé par ceux qui prétendent uniquement s’opposer à la politique israélienne dans les territoires conquis en 1967, alors même que d’autres qui s’y opposent également se revendiquent comme étant… sioniste et s’opposant à cette politique justement au nom de leur sionisme! Ces « antisionistes » se trompent de définition car d’une part ils se mettent sous le même étendard que ceux qui réclament la fin de l’état d’Israel, tout en se mettant à dos des personnes qui poursuivent le même objectif qu’eux.
Et les postsionistes? Certains postionistes considèrent qu’avec l’avènement de l’état d’Israël, le sionisme n’a plus d’objet, car son objectif initial est atteint. Il voit le sionisme comme une revendication et non comme un objet en soi. L’opposition entre les définitions de ce postsionisme et du sionisme peut se résumer ainsi: ce postsionisme voit le sionisme comme un mouvement indépendantiste qui une fois l’indépendance obtenue n’a plus de raison d’exister.
Le sionisme se voit comme un mouvement pour l’existence d’un état Juif pour les Juifs, et dont la fin signifierait donc que l’on souhaite la fin d’un état Juif pour les Juifs. Pour d’autres le post-sionisme est l’évolution naturelle de l’état d’Israel , avec un abandon de son identité juive afin de correspondre à l’identité de tous ses habitants, juifs et non-juifs. Cette vision est combattu par les sionistes car remettant en cause le droit du peuple juif à s’autodéterminer, à l’instar des autres peuples.

Sources sur certains points: Encyclopédie du Judaisme, editions CERF/Lafon

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