Il se passe quoi en 42 minutes ?
On se fait livrer un plateau de sushis ?
On lit les 254 commentaires suite au papier de Sefwoman ?
On attend qu’on appelle notre nom à l’Aroma comme si notre vie en dépendait ?
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Avant de répondre, laissez-moi vous présenter Yann-Erik.
Rencontré il y a quelques semaines sur la grisaille parisienne autour de cocktails exotiques, cet ami d’amis n’a jamais mis un pied en Israël.
Quand je lui annonce mon départ imminent, il se produit deux choses inattendues : tout d’abord il ne me demande pas comme 9 personnes sur 10 si je suis « sûre », si « ça craint pas en ce moment? ». Ensuite (7 eme cocktail quand même), il me demande s’il peut venir passer quelques jours.
Comme toute fille qui se respecte, j’ai répondu ce que l’on répond au bout de 7 cocktails : « d’accord. Quand ? ».
Les promesses faites la nuit voient rarement le jour. Pas celle-ci.
Me voici donc en route vers ben gourion chercher Yann-Erik, qui arrive quelques jours après moi.
Hors de question pour lui de respirer, direction Frishman. On commande un repas sans gluten, le serveur a l’habitude (pour mémoire, à Paris, quand on demande un repas sans gluten, le serveur fait souvent la tête d’une poule face à une fourchette).
En synchronisation parfaite arrivent les assiettes de houmous, labnheh, la salade israélienne, la limonana… Et les gens. Filles et garçons à tomber par terre… et pour une fois, ce n’est pas moi qui me choperai la première une élongation des cervicales.
Nous voici les pieds dans l’eau. Yann-Erik est en Israël depuis 42 minutes.
Et il me dit « quand même, qu’est-ce qu’on fait en France, ce serait bien de vivre ici ».
On se sent moins seule d’un coup.
Comme les étoiles (de david) sont avec nous, son séjour coïncide avec Yom Hatzmaout etYom Hazikaron. De quoi avoir un concentré d’israel en quatre jours.
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Notre périple en trois points forts :
1/ Yom Hazikaron à Jérusalem.
Je pensais être la seule touchée par cette célébration. Après tout, c »est moi qui ai de la famille ici, des cousins partis à l’armée, certains sans en revenir.
Pourtant, quand la sirène retentit alors que nous sommes sur la route nous emmenant à Jérusalem, que tout le monde descend de voiture, droits comme des I, la tête inclinée vers l’avant, l’émotion n’a pas de religion.
Le lendemain, au moment de la minute de silence qui en a duré deux au kotel, face aux militaires entourés d’enfants, avec pour seuls bruits la sirène rugissante et les piaillements d’oiseaux affolés, il n’en mène pas plus large que moi.
Car oui, ces militaires, ce sont aussi des hommes, des femmes et des gosses.
Nous visitons ensuite tous les grands lieux de Jérusalem, du saint sépulcre au quartier géorgien, en passant par les ruelles interminables du souk.
Les étoiles (oui, encore elles), sont dans ses yeux.
Et hop, premier verrou qui saute : pas besoin d’être juif pour être fasciné par Jérusalem (ça je le savais) et touché par les soldats israéliens morts au combat (ça…).
2/ « Sioniste, c’est une insulte ? »
Nous dinons chez mon cousin à Jérusalem.
Arrivé il y a quelques années, celui-ci est passionné de politique. Et là, Yamotek commence à poser des questions, toutes les questions.
Sans a priori, sans préjugé, Yann-Erik est de ces français qui ne se sentent pas assez informés pour parler du « conflit ». Disons que c’est un NSP dans les sondages.
La discussion dure une bonne partie de la soirée, et tout y passe : les deux états, Jérusalem, le sionisme, le peuple palestinien…
Alors oui certains diraient que nous ne sommes restés que d’un côté de la frontière. Mais Gaza pour shabbat, je suis pas sûre…
Et là, j’assiste à un déclic : Yann-Erik pose les questions que je me pose aussi en France : « pourquoi ne parle-t-on jamais des arabes israéliens en France ? » « pourquoi sioniste est (presque) une insulte ? »…
Attention, le deuxième verrou saute : ce n’est pas parce que l’on est juif en France que l’on trouve que les médias parlent mal d’Israël, c’est parce que nous connaissons le terrain, et pouvons comparer ce qui passe dans les médias et ce qui reste sous silence.
3/ Yom Hatzmaout à Tel Aviv.
Israël terre de contrastes ? Mais carrément ! Surtout en enchaînant hommage aux morts puis fête nationale comme si demain n’existait pas.
Depuis notre arrivée, tel aviv est bleue et blanche, les drapeaux sont accrochés à toutes les voitures, toutes les fenêtres… On sent la fierté des israéliens, et l’esprit de fête qui monte.
Et là je repense à tous les 14 juillet où je reste cloîtrée car je ne suis ni merguez ni bière chaude, et que je n’ai pas de copain qui a un penthouse avec terrasse avec vue sur le feu d’artifice.
Yann-Erik est étonné par cette ferveur : eh oui, la fierté nationale est une chose, le nationalisme en est une autre ; et il est vrai qu’en France les rassemblements « bleus blancs rouges » sont rarement fédérateurs et apolitiques.
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Yann-Erik le voit tout de suite, ici, quand on fait la fête, c’est « come as you are ». On commence comme des touristes aux Azrieli towers et à la vodka redbull.
Rapidement lassés, on s’enfuit. Et là, mis en confiance par l’atmosphère bon enfant, voilà le Yanimal parti comme une flèche aborder les passants (les passantes ?) pour leur demander conseil sur notre sortie.
On monte dans le taxi avec deux filles superbes (il s’en remet doucement), et nous voici en plein centre, guettant les soirées en tendant l’oreille.
Pas besoin d’aller très loin. À 20 mètres, un groupe de rock joue en pleine rue, on est entre Pink Floyd et U2, ça danse, ça chante, on rencontre des israéliens… Et la soirée bascule.
Loin de nos repères, enhardis par le sourire des gens, nous nous lions avec une bande, puis avec les musiciens, que nous suivons à la soirée suivante.
Il est 4h du mat, pas de taxi (comme à Paris), du monde plein les rues… Et un sentiment de sécurité qui ne nous avais pas habité depuis longtemps.
Nous terminons au petit matin avec une guitariste de flamenco, un percussionniste algérien, un clarinettiste polonais, une brochette de hippies et un joueur de cithare israélien. Et là nous nous rendons à l’évidence : nous essayons sans succès de nommer une autre capitale dans le monde où l’on peut suivre des inconnus sous influence sans à aucun moment ne ressentir de danger ou de méfiance à notre égard.
Et hop troisième verrou qui saute : ce n’est pas parce que l’on est juif que l’on se sent en sécurité et que l’on aime faire la fête à Tel Aviv. C’est tout simplement parce que c’est une ville sûre où l’aventure est au coin de la rue.
Tel Aviv, destination tellement méconnue… Les locaux s’amusent à nous dire qu’à part les juifs, les gays… et les juifs gays, les touristes sont plutôt rares.
Pourtant, emmenez-y un inconnu, qui part sans a priori, et redécouvrez Tel Aviv à travers des yeux. Partagez cette ville comme on partage un bon repas. Entre LA, Copacabana et NYC, cette ville unique est victime de préjugés qui n’ont pas lieu d’être. Et la meilleure façon de le réaliser, c’est de trouver votre « Yamotek » et de l’emmener faire un tour dans la ville blanche.
Ça lui a pris 42 minutes.
Et le votre ?
Sophie Taieb