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On a rarement l’occasion de pouvoir s’adresser directement à ceux qui vous lisent. Je pars sous les drapeaux, alors même si c’est la norme en Israël, on m’accorde ce privilège avant que la réalité de l’entraînement de base ne me rattrape !
Ces derniers mois chers lecteurs, j’ai réussi à créer une relation de confiance avec vous, voire des affinités avec certains. Alors pour mon départ, j’ai voulu vous écrire, comme si nous étions vous et moi assis dans un de ces nombreux cafés de Yafo, à refaire le monde à une heure très tardive, à parler de nos rêves, de nos doutes, de nos espoirs, à la veille d’un grand changement d’existence.
Quand je suis né en France, rien ne me prédestinait à finir un jour en Israël. À vrai dire, je pensais vraiment qu’il s’agirait d’une alternance entre les promenades sur la côté bretonne dont je raffolais tant petit, et la vie métro/boulot/dodo de Paris.
Rien de très juif et de très israélien jusqu’à là. C’est à dire que ces quelques mots peuvent résumer ma vision du monde, jusqu’à ma Bar Mitzvah.
Ah la Bar Mitzvah ! … Je m’en souviens comme hier, non pas parce que j’ai trébuché avec la Torah en main sur la bima, ou parce que mon chant de tout jeune adolescent en pleine mue a provoqué les sourires grinçants et gênés de tous les invités. Si seulement c’était cela !
Non je me souviendrais toujours de ce jour, parce que c’est à ce moment là qu’Israël est entrée dans ma vie. Je me souviendrais toujours arriver chez moi, et voir à la télé, les images de la réaction de Tsahal au Sud-Liban, avec les photos d’Ehud Goldwasser z’’l et d’Eldad Regev z’’l affichées en grand, et ce mot, qu’avec mon hébreu d’élève déconcentré de Talmud Torah j’avais mis une heure à déchiffrer : Hatufim.
Puis les journées de juillet et d’août 2006 sont passées. Les images de roquettes tombant sur Haïfa et Hadera étaient mon quotidien. La liste des victimes des combats et des bombardements s‘allongeait de jour en jour.
19 ans, 45 ans, 20 ans, 22 ans, 3 ans. La guerre et la mort n’ont pas de préférence quand il s’agit de faucher des vies.
Et moi, malheureux réfractaire du Talmud Torah, qui prenait un livre de Freud ou de Darwin pour le lire tel des prières dans la Synagogue, moi qui m’étais juré que je n’avais rien à voir avec mes compagnons d’apprentissage de l’hébreu, voilà que la conscience et la certitude de se trouver au mauvais endroit m’avait pris.
Cette idée était à présent rentrée dans ma tête…elle n’allait plus jamais en sortir…
Alors certes, j’ai eu encore quelques réluctances. D’abord la France était mon pays, puis j’étais un admirateur des lettres françaises depuis mon plus jeune âge. L’idée d’être un juif de diaspora névrosé me plaisait énormément, au même titre que je me sentais profondément lié à cette terre qui m’avait vu naître.
-13 ans : Qu’est-ce que je fais ici en France alors que des juifs meurent à la guerre ? Pourquoi je peux échapper à l’armée et au service militaire alors que mes frères se battent pour que je puisse vivre dignement ? Moi aussi un jour je serai dans Tsahal.
-14 ans : Quelle horreur mes camarade juifs au collège qui me disent que je ne suis pas juif. Je ferais mieux d’être simplement français…
-15 ans : Quand je vais passer le bac, je vais partir pour Israël, et devenir officier tankiste.
-16 ans : Plus que 730 jours avant Tsahal.
-17 ans : Maman, je ne veux plus aller en prépa après le bac, ni continuer à étudier le grec ancien et le latin et l’histoire de l’art : ce sera Tsahal pour moi.
-18 ans : Bon Sciences Po Paris, ce n’est pas si mal, on verra bien ce que ça donne. Au pire, je partirai avec le master. Et puis je me suis cassé le pied en mille morceaux sur le chemin de l’Agence Juive…un signe…si je pars, je finirai, tué à Gaza.
-19 ans : Sciences Po, la France, tout ça c’est fini en route vers Israël !
-20 ans : Enfin l’armée. Ça m’aura pris du temps, mais enfin j’y suis.
Et d’un côté, je vous laisse deviner lequel, on me disait :
Walter reste avec tes livres – Walter ce n’est pas fait pour toi, tu es bien plus utile en restant en France. – Walter tu vas mourir chez Tsahal. – Genre toi qui est qu’à moitié juif tu vas faire ça ? – Walter tu crois que ça va être comme dans tes romans de Julien Gracq en Israël : la Drôle de Guerre, l’attente, observer, la rêverie, jeune sous-lieutenant romantique en septembre 1939 ?
Et de l’autre c’était :
Tu n’es qu’un sale terroriste juif – Crève sale sioniste de merde – Retourne à Auschwitz Walter, 6 millions d’étoiles, tu t’y sentiras comme chez toi – Arrête de « juiver » – Aller fais pas ton juif et paye pour tout le monde – C’est pas un juif de merde qui va m’apprendre l’histoire de France – Et Walter « Vive le Hamas » hein ? – Je suis désolée Walter, tu comprends, mais mes parents ne veulent pas que je sorte avec un Juif. C’est contre mon éducation – C’est étonnant qu’un garçon aussi bien que vous soit israélite !
Pas évident n’est-ce pas ? Il faut dire que j’étais jusqu’avant de venir en Israël, surtout dans l’idée « Waooo c’est trop bien je vais pouvoir vivre une Drôle de Guerre, l’attente, observer, contempler, écrire ! », et venir faire Tsahal c’était un peu une façon de chercher une aventure qui déboucherait sur une mort romantique dans le Golan. J’étais très loin de savoir ce qui allait m’attendre vraiment en Israël : un pays plein de vie, plein de joie de vivre, un pays qui est le mien et pour lequel je veux me battre, ce pays que j’aime tant, pour lequel je ferai tout, même si cela fait longtemps que l’esprit : « aller je vais fonder un kibboutz dans le Néguev », cet esprit pionnier qui m’avait en premier lieu intéressé, a disparu.
Et c’est grâce à RootsIsrael que ma façon de voir Eretz a changée, bien longtemps avant même de poser le pied à Ben Gourion. J’ai grandi spirituellement ici. Entre le jeune olé venu au kibboutz apprendre l’hébreu et travailler avec ses mains, mon expérience, franchement pas glorieuse comme serveur pendant quelques jours, et finalement mon stage chez RootsIsrael, j’ai l’impression d’avoir pris 10 ans.
La vie en France est faite d’étapes qui se succèdent automatiquement : école-collège-lycée-études-travail. On ne vit pas.
J’ai fait le choix d’exister, de prendre mon destin en main, de devenir Israélien. Et vous y avez contribué chers lecteurs, parce que vous êtes l’âme qui porte ce projet. Certains de mes articles ont pu vous plaire, d’autres non, et à chaque fois j’en ai appris plus sur moi-même, et surtout, sur vous. Jamais je me suis senti aussi juif, parce qu’à travers vos avis, vos opinions, vos approbations, vos expériences j’ai découvert quel était vraiment l’âme de mon peuple, ce peuple auquel je suis fier d’appartenir et de commencer à porter l’uniforme.
Je vous souhaite, haverim, une très bonne continuation.
Votre dévoué chroniqueur,
Le Stagiaire.
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