NOEMIE BENCHIMOL

Descendre de chez moi, longer la rue Hillel, traverser Mamilla Hall, entrer dans la vieille ville, traverser les rues du Shouk arabe, m’arrêter acheter une connerie à un marchand, négocier, évidemment, faire attention à toutes ces petites marches, dire bonjour aux vendeurs de pita/sahleb/citronnade, m’acheter éventuellement une bouteille d’eau, “koulchi Tamam y’a Madame? Tamam”, serpenter jusqu’à arriver au Mur des Lamentations. Me précédant ou me suivant, parmi les touristes et les habitants , des familles de juifs religieux, des hommes, des femmes, des jeunes, des bébés.

Combien de fois ai-je pris ce chemin depuis les trois ans que j’habite Jérusalem? Des dizaines de fois, sans doute.

Pourtant, j’entretiens avec le Kotel un drôle de rapport. Depuis qu’on n’y trouve plus de mendiants bigarrés aux promesses messianiques et/ou délirantes, depuis qu’il n’y a qu’une seule caisse de charité (moi je veux donner à l’autre, à la demi folle au regard sacré, pas a un préposé tout propre) le Mur a perdu de son charme. Je ne prie pas au Mur, ou alors, si j’y prie, je n’y ressens rien de particulier. Mais a mon arrivée ici, le manque de Paris, ma famille, le vague à l’âme, ont souvent mené mes pas jusque-là, par ce chemin là justement. L’espoir de ces gens qui prient, qui viennent ici chercher une porte d’entrée vers Dieu m’emeuvait, apaisait ma solitude.

Je me rappelle même de la première fois, fraîchement israélienne : tous les trois pas, je demandais aux marchands arabes mon chemin pour le Kotel: “Hakotel, whin hou?” On me l’a toujours indiqué avec courtoisie. Un a bien essayé de m’induire en erreur, mais s’était fait rabrouer vertement par son voisin, un vendeur de sandales.

Je sais qu’à l’international, ce chemin là semble être un chemin dangereux, anormal, ou pire encore, provocateur. Laissons les européens à leur grille. Mais qui devrait mieux comprendre un croyant qui prie, qu’un autre croyant qui prie?

Moi je prends ce chemin là justement pour faire mentir ceux qui nous veulent ennemis à mort, parce que j’ai ancré au cœur la confiance que la rencontre en face à face désamorce, désarme les idées haineuses.

Je continuerai de le prendre, ce chemin, de baragouiner en arabe tout en portant un couvre chef juif.

Jérusalem doit à tout prix inventer une autre façon d’être que celle de la “capitale”. Jérusalem n’est pas une capitale, c’est un centre, c’est un cœur. Et comme tout coeur, elle a deux ventricules. Jérusalem ne doit pas se dejudaïser, pas plus qu’elle ne doit se désislamiser. Elle doit simplement se respiritualiser.

Pour que plus jamais, des croyants allant prier, en famille, chercher la consolation, ne trouvent sur leur chemin la haine, et la mort.

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