Quand j’étais petit, j’étais tout le temps fourré chez ma grand-mère. Ma grand-mère, paix à son âme, est née en Pologne, à Cracovie, au début du siècle dernier, ce qui fait d’elle, une héritière naturelle du Yiddish.
C’est pourquoi il était fréquent, que j’entende ma grand-mère et ses amies pendant leurs parties de Rami interminables s’exprimer dans ce langage qui m’était à la fois totalement inconnu, mais avec les années très familier.
Au cours de leurs conversations, plusieurs mots revenaient souvent, et j’avais fini par en comprendre à peu près le sens.
Cependant, un mot parmi tous les autres m’est resté étranger pendant longtemps… « Schmock » .
Je les entendais souvent parler et dire parfois qu' »Untel est vraiment Schmock ». L’expression revenait de manière très fréquente, mais il était impossible pour moi de comprendre exactement ce qu’elle signifiait. Jusqu’au jour où j’entendis ma grand-mère raconter à ses amies comment elle avait traité ouvertement le pharmacien du quartier de « Schmock » , et que celui-ci lui avait retourné un sourire en pensant qu’elle l’avait gratifié d’une bonne parole. Toutes les grands-mères avaient ri aux éclats.
C’est ce jour là, que j’ai décidé en l’entendant, de lui demander ce que signifiait vraiment le mot « Schmock »… j’avais 8 ans je crois.
Au moment même où je prononçais le mot, un lourd silence s’abattit sur le salon. Plus un bruit, toutes les femmes s’étaient figées sur leur fauteuil, et toutes me regardaient, presque effrayées. Elles semblaient n’avoir pas imaginé un seul instant que je puisse poser cette question, comme si elles avaient presque occulté ma présence.
Ma grand-mère m’a regardé, puis a regardé ses amies, puis m’a à nouveau regardé. Je voyais dans son regard, qu’elle aurait préféré à ce moment là n’avoir jamais raconté cette histoire devant moi…au bout de quelques secondes interminables…elle m’a dit d’un air désespéré : « Oi va voi Kinderlech, Kadoches mit koshereh fodem ! » (« oula la mon enfant, absolument rien…« ).
Si je n’ai pas compris le sens de ces mots, j’ai su à cet instant que je n’aurais pas non plus l’explication que j’attendais d’elle.
C’est pourquoi, comme un bon juif ashkénaze qui porte en lui toute la souffrance de ses ancêtres multipliée par 2 à chaque génération, j’ai décidé, aujourd’hui a 42 ans d’exorciser cette terrible question qui me taraude depuis tout ce temps, et de clarifier enfin pour le monde entier le sens du mot « Schmock ».
Premier point : on n’est pas obligé d’avoir des grands-parents ashkénazes pour…
… avoir entendu au moins une fois dans sa vie, prononcer ce mot, oscillant entre l’onomatopée, la métaphore ombrageuse et une description anatomique.
Il est vrai qu’en yiddish, à ses origines étymologiques, Shmock signifie d’abord «pénis». Oui, le mot schmock yiddish désigne de manière directe le pénis ou tout du moins, le morceau de prépuce qui est retiré d’un pénis après la circoncision.
Comme beaucoup d’autres termes, il a été adopté aujourd’hui et «naturalisé» surtout aux Etats-Unis comme un mot anglais et se situe entre la désignation anatomique et la l’onomatopée à connotation négative.
Schmock désigne une personne stupide, une personne naïve, ou fou.
Mais on ne peut pas comprendre la langue si on s’arrête à son interprétation littérale. Il faut comprendre l’essence même des contextes dans lesquels un mot s’utilise.
Si le mot « Schmock » signifie «idiot», ni plus ni moins, et appeler une personne un « Schmock » c’est l’appeler « idiot » , c’est avoir l’intelligence de le dire de la manière la moins outrageuse possible…presque affectueuse.
Donc, Shmock peut désigner soit l’organe sexuel masculin ou un idiot. D’ailleurs, c’est à se demander pourquoi la langue relie de manière aussi naturelle l’organe mâle et le manque d’intelligence….
Deuxième point : le sens premier d’idiotos.
Mais il me semble important, indispensable même de comprendre l’étymologie du mot « idiot » , car si quelqu’un m’appelle idiot, je pourrais très justement me dire que cela est tout à fait correct, dans la mesure ou l’étymologie grecque du mot » idiotos » désigne une personne ordinaire ou profane sans aucune formation professionnelle particulière », et vous comprendrez donc qu’il n’y a rien de si terriblement insultant à ce sujet. »
Alors pour résumer, est-ce que « Schmock » est un mot offensant » ?
Si vous êtes la personne désignée, bien sûr que ça l’est, puisque cela revient à se faire traiter d’«imbécile», «nigaud», «crétin», «écervelé», mais vous percevrez toujours derrière l’utilisation de ce mot, la décharge affective qui l’accompagne. C’est justement ce mariage entre « l’insulte » et le témoignage de tendresse qui rend cette expression aussi précieuse et difficile à l’emploi Chacun a sa propre nuance et son registre linguistique. Mais finalement, toute la nuance, toute la différence de perception ne se pose que si un non-juif utilise ce mot.
Pour être parfaitement honnête, j’ai un léger problème psychologique avec un mot comme «schmock» étant utilisé par des non-Juifs.
Peut-être que ce sentiment est partagé par tous les membres de tout groupe minoritaire ou sous-culture dont un mot ou une expression, autrefois uniquement utilisé dans leur répertoire linguistique, a finalement été adopté par la culture au sens large.
C’est la traduction d’un sentiment partagé entre d’une part celui d’avoir influencé le monde, et de l’autre un ressentiment qui vous fait poser la question : « mais qui vous a permis de prendre notre mot?« .
En tant que Juif, je ressens le même droit exclusif sur «Schmock» que d’autre mots «juifs». Lorsque d’autres les utilisent, je me sens un peu comme une personne dont les biens personnels auraient été volés. Mais bien sûr, c’est idiot…
Personne ne possède un droit d’auteur sur les mots….et heureusement car aucune langue ne se serait jamais développée, si ce droit d’auteur existait.
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