Yael Bornstein : Dans le magazine de ce soir, je suis ravie de retrouver notre ancien confrère, mais surtout ami, Yoram Salamon. Bonsoir Yoram.
Yoram Salamon : Bonsoir Yael.
Yael Bornstein :Je le redis à chaque fois, la seule personne que je tutoie à l’antenne, mais c’est comme ça, c’est le marché qu’on a conclu, voilà. On annonce tout d’abord, et ça c’est une annonce qui est importante, et c’est peut-être emblématique que ça se fasse aujourd’hui, on annonce donc l’ouverture d’une rubrique qui sera régulière et donc à partir de maintenant on va se parler ici de certains des thèmes de cette société israélienne, du judaïsme…et tout d’abord, dis-nous quelques mots déjà sur le relancement de Rootsisrael, et puis voilà parle-nous un petit peu de où tu te trouves parce que c’est aussi emblématique de ce qui se passe en ce moment.
Yoram Salamon : Bon alors la relance de Rootsisrael, on en a parlé quoi, il y a un mois à peu près, et il y a plein de choses qui se sont faites depuis l’interview, et on commence vraiment à trouver une vitesse de croisière, il y a des sujets de plus en plus nombreux, et puis les gens commencent à nous suivre de plus en plus nombreux, ça fait plaisir, c’est une communauté qui grossit rapidement, donc bon, on est encore des bébés, là, mais je donne rendez-vous dans un mois, je pense qu’on aura encore augmenté. Mais ça, c’est surtout ce que j’ai trouvé intéressant dans notre coup de fil d’aujourd’hui, c’est le fait que je sois à Roissy, là, et en plus il y a un peu de bruit autour de moi, mais finalement ça participe un peu à contextualiser ce dont on va parler.
Et je suis en partance pour Tel Aviv, puisque j’étais en France. Je vais prendre l’avion, je vais prendre ELAL pour leur faire de la pub gratuite, alors qu’ils ne le méritent pas du tout, mais c’est pas grave.
Yael Bornstein : Ah carrément pas !
Yoram Salamon : Ah ouais ! Et voilà, je suis en partance pour Tel Aviv, là, et je vais décoller dans une heure à peu près, même peut-être un petit peu moins.
Yael Bornstein : Oui, alors qu’est-ce que c’est l’aéroport ? C’est toujours synonyme, c’est toujours agréable de faire un voyage, que ce soit vers la France, vers Israël, peu importe où, quand on prend d’autres vacances. C’est quoi aujourd’hui qui est si particulier dans le fait que tu soies à l’aéroport ?
Yoram Salamon : Écoute, non, évidemment il n’y a plus rien qui est comme avant, avant de prendre l’avion pour Israël…
Yael Bornstein : C’est quoi avant ? Avant quoi ?
Yoram Salamon : Alors c’est intéressant ce que tu dis, avant là tout de suite on pense au 7 octobre, c’est normal, et bien je vais te dire autre chose…attends il y a un gars qui parle trop fort à côté de moi. En fait ça avait déjà changé, la couleur du voyage avait déjà changé au moment du Covid, parce qu’évidemment avec toutes les démarches, les fermetures, les vols vides etc. ça avait déjà laissé un avant-goût un peu comme ça, tout à coup il n’y avait plus de touristes, d’un Israël un petit peu isolé, où il n’y avait plus de touristes, où c’était compliqué de voler.
Mais c’était la même chose pour tout le monde dans le monde entier. Donc c’est pas grave. Enfin, c’était pas grave. On le prenait tel quel. Depuis le 7 octobre, je ne pense pas qu’il y ait énormément de pays qui soient aussi isolés, à part des dictatures, peut-être, ou des pays déjà qui étaient en guerre.
J’ai rarement senti, dans mes voyages…C’est pas rigolo, t’arrives en Israël, t’es content de revenir parce que quand t’habites plus en Israël, t’es chez toi, mais il y a une lourdeur.
Yael Bornstein : C’est ça…C’est lourd, c’est pesant.
Yoram Salamon : C’est pesant, les gens à l’aéroport, tu sens qu’il n’y a personne qui est là. Alors évidemment, un tout petit peu, au moment où il y a eu le 7 octobre, il y avait une sorte de frénésie comme ça, qui étaient assez incroyable à vivre, où les gens se dépêchaient de rentrer. C’est ça qui était ouf. Il y avait des gens qui sortaient, mais il y avait beaucoup de gens qui essayaient de rentrer au pays, que ce soit des jeunes soldats ou même des familles, des gens qui ne voulaient surtout pas être loin de leurs proches dans ce moment si compliqué. Donc il y avait quelque chose de frénétique. Et là, on sent plutôt quelque chose de triste, de lourd, et tu sens que tout le monde se regarde, tout le monde sait exactement de quoi on parle sans se parler.
Yael Bornstein : Ouais c’est ça…Et tu sens quand même une espèce de différence, une légèreté dans leur… On peut aujourd’hui être ailleurs et avoir une autre sensation de la chose et puis quand tu te trouves physiquement ici, il y a tout de suite quelque chose qui te prend à la gorge et qui t’étouffe, pas qu’il t’étouffe, mais la gorge serrée du matin au soir en fait. C’est quelque chose qui est…
Yoram Salamon : Ce sentiment que tu décris, alors moi j’ai une situation un peu particulière mais comme d’autres Israéliens, je suis en France tous les mois donc je fais des allers-retours donc je ressens ce truc très fortement. Premièrement, j’ai l’impression d’être vraiment, de revenir sur une île.
Yael Bornstein : Une île ? Une île. Ah, carrément une île.
Yoram Salamon : Revenir sur une île isolée et où le ressenti est différent et je trouve, il y a une sorte de, tu sais, depuis le 7 octobre notamment, tout n’est pas apparu depuis le 7 octobre, tout s’est renforcé, amplifié depuis le 7 octobre, mais on est entre un ressenti légitime, qui est celui du trauma, non seulement du 7 octobre, mais de toutes nos générations passées, mais aussi de la montée de l’antisémitisme dans le monde, et en même temps, je trouve, d’une paranoïa…clairement.
C’est une sorte… On s’alimente, en fait, entre les traumas et les paranoïas, et même des actes de la vie quotidienne deviennent sujets à interprétation et à une grille de lecture un peu paranoïaque parfois.
Et là, tu ne peux pas t’empêcher de penser à ta tête « Ok, qu’est-ce qui va se dire ? Qu’est-ce qui va se passer ? » Tu ne fais pas un procès, tu te poses la question. Et en fait, cette question, elle est tout le temps là maintenant, elle ne l’était pas avant.
Yael Bornstein : Tu n’avais pas ça avant ?
Yoram Salamon : Non, je l’avais éventuellement, tu sais le seul moment où je l’avais, c’était quand je prenais un Uber et que je partais pour Israël.
Yael Bornstein : Est-ce que je lui dis où je vais ou est-ce que je ne dis pas ?
Yoram Salamon : Mais c’était assez limité. Là, je trouve que c’est venu envahir un peu notre quotidien mental. Il y a quelque chose de très fort là-dessus. Je crois que c’est un… Alors, il est justifié d’un côté parce que des choses se passent, et de l’autre aussi, c’est le paranoïa, je pense, qui est alimenté par la situation qui nous rend tous au fou, en fait, avec ça.
Yael Bornstein : C’est quoi aujourd’hui de voyager vers Israël, quand toi t’habites clairement en Israël mais c’est vrai que tu fais beaucoup d’aller-retour vers la France. C’est devenu quoi ? C’est devenu une source de… Tu vas respirer un petit peu déconnecté en France ou bien tu restes clairement sur les médias et toujours aussi…
Yoram Salamon : Ça participe à ce que je viens de te dire, c’est-à-dire d’un côté, tu comprends qu’en France la vie elle continue, c’est là où je parle de paranoïa, parce que ce qu’il se passe en Israël globalement, la plupart des gens s’en foutent en fait, comme ils s’en foutent de ce qu’il se passe au Congo, comme ils s’en foutent de ce qu’il se passe chez les Ouïghours.
C’est comme ça, c’est la vie. On est tous déjà préoccupés par nos préoccupations personnelles. Donc ça, tu te rends compte quand tu vas avec tes amis qui sont dans d’autres pays, quand tu es dans d’autres endroits, alors le sujet, il est là, il est en filigrane, mais il n’est pas prenant comme il est prenant chez nous. Et moi qui voyage, je ne sais pas, je suis en Israël depuis 15 ans et les allers-retours, j’en ai fait 3 milliards depuis que j’habite en Israël, je ne me souviens pas m’être posé autant de questions ou en tout cas avoir eu autant de pensées sur mon statut, sur ma condition.
Donc clairement il y a quelque chose qui s’est passé. Mais est-ce que je frise la paranoïa aussi parfois ? Peut-être…
Yael Bornstein : Alors pour terminer Yoram…
Yoram Salamon : Je voudrais justement rebondir sur ce que tu viens de dire. C’est exactement ce questionnement entre ce statut, entre l’isolement et la résilience. On est isolés, il ne se passe plus rien, les vols sont compliqués, il n’y a plus personne qui rentre en Israël en terme culturel. Quel artiste est venu, non juif ou non israélien, est venu en Israël faire un concert ? La vie culturelle est morte à l’international. Les DJ israéliens, les gens de la scène israélienne se produisent plus non plus à l’étranger, on est dans une île.
Mais il faut absolument qu’on retrouve le moment où on respire un petit peu et on reprend un peu d’espace dans tout ça, parce que le deuil, là, il est en train de devenir permanent. Et c’est problématique, parce que même au moment où le 7 octobre n’a pas lieu, même s’il y a des attentats ici et là, on est habitués, mais c’est insoutenable en fait que chaque… le Hamas est très bon là-dedans et très tacticien…C’est insoutenable que chaque jour on nous rappelle à quel point on est dans une condition totalement déplorable quoi.
Yael Bornstein : Je pense sincèrement, et ça c’est ce que disent tous les otages, c’est encore ce que Yaïr Horn a dit tout à l’heure sur « La place des otages – Kikar HaKhatoufim », il a dit ça. Il a dit clairement : » Vous me voyez physiquement ici, je ne suis pas là, et aucun de nous n’est là tant qu’on ramènera pas tous les otages… », et je pense que le processus, le réel processus de deuil commencera le jour où on aura récupéré les 63 qui restent encore à Gaza et je pense que ce sera pas possible avant, je sais pas si t’es d’accord avec ça ?
Yoram Salamon : C’est exactement…si ça peut boucler ce qu’on a dit, puisqu’on a commencé en disant que j’étais à l’aéroport. Pour moi, il y a deux endroits en Israël où tu vois tout le temps quand les gens sont heureux. C’est quand, à Tel Aviv, par exemple, quand tous les gens regardent le coucher de soleil, quand toi tu le regardes pas, que tu les regardes eux regarder le coucher de soleil, c’est des gens hypnotisés et avec le smile. Et à l’aéroport, c’est pareil. Quand tu vas aux arrivées, moi, ça m’est arrivé plusieurs fois de venir chercher quelqu’un, mais de venir un peu avant, rien que pour voir le bonheur des gens, tu vois qu’ils se retrouvent avec le sourire et le smile, et évidemment depuis deux ans c’est pas du tout ça…
Yael Bornstein : C’est pas ça du tout…
Yoram Salamon : Je pense que, je pense qu’on saura que notre sérénité elle est à peu près revenue le jour où on verra des sourires à l’aéroport.
Yael Bornstein : Des sourires, des ballons qui sont restés coincés sur le plafond, des gosses qui courent chez les grands-parents, des chiens qui font la fête à leur maître… ça va revenir Yoram, tu promets ?
Yoram Salamon : On y travaille…on y travaille…
Yael Bornstein : Merci beaucoup Yoram Salamon d’avoir partagé avec nous ces instants, donc depuis l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Tu peux leur dire qu’ils peuvent reprendre les annonces maintenant qu’on a terminé cet entretien. Et puis, fondateur de Rootsisrael, qu’on a le plaisir d’accompagner depuis quelques semaines aussi. On est ravis du relancement, que ça cartonne bien. Merci Yoram d’avoir été avec nous. A très bientôt sur les ondes de Kan en français.
Yoram Salamon : Leitraot et Toda Raba