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1964

Papa prend son fils sur ses genoux
Il a été rappelé à la guerre et tente de rassurer son enfant.
Il promet de se préserver des dangers,
Il promet de rentrer sain et sauf.
« Je m’en vais défendre notre terre, vous protéger.
Je vais me battre pour la paix,
Inch’allah mon enfant, tu n’auras pas à la faire, cette armée »

 

1988

Papa prend sa fille sur ses genoux
Il a été rappelé à la guerre et tente de rassurer son trésor.
Il promet de se préserver des dangers,
Il promet de rentrer sain et sauf.
« Je m’en vais défendre notre terre, vous protéger.
Je vais me battre pour la paix,
Si Dieu veut, mon enfant, tu n’auras pas à la faire, cette armée »

 

2001

Je prends mon sac militaire sur mes genoux.
L’intifada est en marche, et je dois rejoindre les rangs.
Jeune fille confuse qui vient tout juste de passer son Bac,
confrontée aux jeux de grands.
J’apprends les stratégies militaires,
J’absorbe les règles du jeu.
Entourée de mes camarades de guerre
blessés mais qui continuent à jouer.
De deuil en deuils,
Nos yeux boursouflés, restent baissés.
J’suis qu’une enfant, putain! Est-ce si dur à comprendre et à réaliser?!
Hier seulement je passais mon permis,
Avant hier seulement, je vivais mon premier baiser.
J’suis qu’une enfant, putain! Est-ce si dur à comprendre et à réaliser?!
On m’a promis que quand je serai grande,
il n’y aurait plus d’armée.
On m’a promis que les images sanglantes
cesseraient d’exister

 

Et là, rebelote…
Le revoilà,
Ce moment où tout explose.
Ce moment où les mécanismes de défense ne marchent plus.
Ce moment où j’appelle mon père pour lui crier dessus:
Tu as promis!
Tu M’AS promis!
13 soldats de la brigade 13 de Golani
La brigade de papa
Une claque.
Réveille-toi! Sors de ta bulle!
Arrête de dire « hiyé besseder », car rien ne va plus.
Réveille-toi, bordel!
Combien de temps encore peux-tu te cacher derrière ces mécanismes de défense?
À quel point peux tu réprimer, nier, rire, déconnecter, rationaliser, relativiser
Et encore une fois, réprimer et nier…?!

 

Ça y est, je suis réveillée.
C’est bon, c’est bon… je suis réveillée, j’ai dit!
Et comme dans un jeu de domino,
Les mécanismes s’effondrent un à un.
13 soldats morts
J’ai le regard dans le vague.
Je ne sens plus rien.

 

Comment ne me suis-je pas habituée?
C’est pourtant la même chose tous les deux ans…

 

Comment ne me suis-je pas habituée après trois décennies sur cette terre,
qu’on appelle aussi le pays des enfants.
Comment ne me suis-je pas habituée,
Première intifada, guerre du Golfe, guerre du Liban.
Comment ne me suis-je pas habituée,
Deuxième intifada, d’innombrables « opérations » et agissements?
Comment ne puis-je pas comprendre
que mêmes les parents ne tiennent pas leurs promesses.

 

Comment vivre cela, dites-moi, je l’exige!
Comment faire face à cet espoir de ne pas reconnaître les noms?
Comment faire face aux nombres de morts, chaque fois à nouveau.
À ces chiffres qui ne font qu’augmenter,
À ces chiffres qui ne laissent pas le cœur respirer.
Comment se déconnecter de ces dures images,
qui réveillent d’autres images, profondément enfouies dans mes pensées?
Je n’ai plus de mots
Et pourtant, j’ai tellement de choses à dire encore.
Mais je suis à bout de force.

 

Je suis fatiguée.
Excusez-moi
Je suis fatiguée des guerres.
Fatiguée de la haine.
Je suis fatiguée de vous.
Je suis fatiguée de toi, ma chère terre
Je t’aime, ma nation.
J’admire tes forces, ma patrie
mais je me souviens de ta promesse,
celle que toi non plus, tu n’as pas tenue –
Li’yot Am Khofchi dans notre propre pays.

 

Et me revoilà encore,
comme il y a deux ans.
J’enfouis ma tête sous le coussin,
car trop souvent, elle se souvient.
J’éteins la télé,
Je la rallume.
Et je la re-éteins.
Je ne veux pas voir,
mais je n’arrive pas à me passer de cela.
Et je pleure pour mes frères, partis sans retour
Et je me demande si la paix, je la verrai un jour.

 

Je t’aime, ma terre
J’admire tes forces, ma patrie.
Mais pardonne-moi
mon amour, ma mère, ma sœur, mon amie…
Je suis fatiguée de toi,
Et donc comme tous les deux ans,
Je retournerai à ma chambre d’enfant
Je m’allongerai dans mon lit,
et m’abriterai du monde lassant.
Et je rêverai du jour
où je poserai mon bambin sur mes genoux,
« Sais tu mon amour,
que lorsque j’étais plus jeune, j’ai fait l’armée,
car il fallait défendre notre terre et la protéger? »
Et mon doux trésor me regardera avec un éclat de rire dans ses yeux
et me demandera avec curiosité,
« Maman, c’est quoi l’armée? »

 

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