L’exploitation par le Hamas de la doctrine du Pidyon Shvuyim.
Depuis le 7 octobre 2023, Israël vit sous l’ombre d’un dilemme moral et stratégique inédit. 252 personnes, dont des enfants, des femmes, et des personnes âgées, ont été enlevées à Gaza par le Hamas. Derrière ce chiffre glaçant, une stratégie redoutable : l’exploitation par l’organisation terroriste de la doctrine sacrée du Pidyon Shvuyim, ou Rachat des captifs.
« Le Pidyon Shvuyim, une tradition sacrée, est devenu une arme stratégique entre les mains du Hamas, exploitant la moralité d’Israël pour fracturer sa société. »
Dans le judaïsme, sauver une vie humaine équivaut à sauver l’humanité entière. Le Pidyon Shvuyim, mentionné dès le Talmud de Babylone, place le rachat des captifs au sommet des priorités. Mais cette valeur, codifiée par Maïmonide au XIIe siècle, incluait des garde-fous : ne pas offrir des rançons exorbitantes pour éviter de devenir une cible facile.
Dans l’Israël d’aujourd’hui, envoyer son enfant à l’armée dépasse le devoir civique : c’est un pacte moral. Chaque soldat est vu comme un « fils ou une fille de tous ». Ce pacte pousse Tsahal à des mesures extrêmes, quitte à risquer des vies pour récupérer les blessés ou les corps sur le champ de bataille. Mais cette éthique est une arme à double tranchant : elle est devenue un levier pour le Hamas, transformant chaque soldat capturé en outil de négociation politique.
« Depuis trois décennies, Israël a échangé près de 7 000 prisonniers palestiniens contre seulement 19 otages vivants, soit un ratio moyen de 700 prisonniers palestiniens par otage israélien? »
Le Hamas a compris la puissance émotionnelle et stratégique des otages pour la société israélienne.
En capturant les otages, le Hamas ne vise pas seulement l’Etat hébreu, mais son âme. Chaque vidéo diffusée montrant des conditions déplorables n’est pas seulement un message, mais une arme. La population israélienne bien que majoritairement favorable au retour des otages, n’en est pas moins déchirée par les conséquences dramatiques et douloureuses qu’impose sa posture morale. Chaque échange est vécu comme une capitulation stratégique, une acceptation au renforcement de l’ennemi, et surtout une incitation pour celui-ci à réitérer. Le Hamas, et d’autres organisations terroristes l’ont parfaitement compris, puisque depuis 3 décennies, au nom du Pidyon Shvuyim, Israël a échangé près de 7 000 prisonniers palestiniens pour 19 otages israéliens
Le cas emblématique reste l’échange de 2011, où 1 027 prisonniers palestiniens ont été libérés pour Gilad Shalit, avec plus de 60 % d’entre eux retournant au terrorisme selon le Shin Bet. Et pourtant, Israël s’apprête à réitérer dans le nouvel accord qui est entré en vigueur il y a peu. Ici se seront 1904 prisonniers qui devraient être libérés contre 33 otages israéliens . Avec un ratio moyen de 700 prisonniers palestiniens pour chaque otage israélien. Israël continue donc de s’engager dans une spirale d’échanges asymétriques.
L’État hébreu, confronté à des concessions toujours plus importantes, a tenté de redéfinir sa stratégie.
Au début des années 2010, la commission « Shamgar » sous l’impulsion d’Ehud Barak, alors Ministre de la Défense tenté de changer la doctrine. Bien que ses conclusions soient restées confidentielles, des sources suggèrent qu’elle visait à imposer des échanges plus équilibrés et à refuser la libération de prisonniers vivants en contrepartie de dépouilles. A ce jour ce rapport n’a pas été suivi.
Une autre approche plus radicale a été tentée : la procédure Hannibal. Cette directive permet, dans des cas extrêmes, d’attaquer un convoi ennemi, quitte à risquer la vie de l’otage. Lors de son utilisation tragique en 2014 à Rafah, elle a entraîné la mort d’Hadar Goldin, soldat israélien capturé et de dizaines de civils palestiniens, tout en exacerbant les tensions internes et les récits de propagande du Hamas. Elle n’aurait pas été utilisée depuis, et reste surtout non officiellement reconnue comme existante par le gouvernement.
Pour Israël, de plus en plus déchiré, la question reste entière : peut-on encore préserver cette valeur sacrée, sans devenir l’otage de ses propres principes ?
Article basé sur la lecture des travaux d’Étienne Dignat, auteur de La Rançon de la terreur (PUF, 2023)
Tres bon article.je l.ai lu avec beaucoup d’intêret.