Psychothérapie : Israël sur le divan

Alors c’est comme ça ? On rentre dans le vif du sujet directement ?  » me dit t-il sur la défensive. « Pas une seconde de repos ? L’humidité et la chaleur dehors m’ont fatigué, je suis encore inondé de sueur et voila que tu m’inondes déjà de questions!

[quote]Imaginez vous bien ma surprise lorsque je vis Israël débarquer dans mon cabinet, venu me conter sa vie. Armé de son Houtzpa légendaire et de son sourire charmeur, il vint m’annoncer qu’il était temps pour lui de commencer une thérapie.[/quote]

 

16h12.

Douze minutes de retard. Bien, attendons…

Deux minutes plus tard, le jeune homme pénètre dans mon bureau. Il est grand, vêtu d’une chemise à manches courtes tombant négligemment sur un pantalon trop large, l’étoile de David à peine apparente.
Mon regard s’arrête un instant sur ses chaussures d’un vert aussi vif qu’étrange, remplies de trous et d’un gout plus que discutable.
Des « Crocs » m’apprendra t-il bien plus tard.

« Salut, je suis Israël. Comment vas-tu ? » me dit-il en me tendant la main.
Voila qu’en plus d’être en retard, l’énergumène me tutoie.
C’est prometteur.
« Bonjour. Je vais bien, je vous remercie. Je commençais néanmoins à m’inquiéter, je vous attendais à 16h00. »
Il regarde sa montre  « Walla1. Donc ça va, je ne suis pas vraiment en retard ! »
Bien… Je ne parlerai pas maintenant de la rigueur qu’implique le suivi d’une thérapie. Le respect des horaires, entre autres, a une importance thérapeutique non négligeable. J’aborderai ce point un peu plus tard, cela me parait mieux.

« Nous allons pouvoir commencer« , lui dis-je en lui indiquant le fauteuil blanc ayant accueilli plus d’un retardataire.

« Ikea, non ? Chez nous aussi, c’est tout Ikea » me lance t-il. « Top qualité ! DE BEST ! A quoi bon aller s’empêtrer dans le sud de Tel-Aviv. Tout le monde essaie de vous arnaquer. Moi personne ne peut m’embrouiller, je ne suis pas un frayere2! Je n’achète que de l’international ! » dit-il le ton assuré, la posture avachie.
Je le regarde d’un air sérieux. « Qu’est-ce qui vous amène ici ?« 
« Alors c’est comme ça ? On rentre dans le vif du sujet directement ?
 » me dit t-il sur la défensive. « Pas une seconde de repos ? L’humidité et la chaleur dehors m’ont fatigué, je suis encore inondé de sueur et voila que tu m’inondes déjà de questions! « 

Je l’observe attentivement, tente de me forger une première idée sur mon nouveau patient. Aucun résultat.

Je suis confuse.

« Bon, bon, tu m’as l’air assez stressée comme ça, alors allons y, pose moi tes questions«  me dit le jeune effronté. Quel manque de respect… Je me dois de le rappeler à l’ordre. « Je serais ravie de vous voir garder une certaine distance, le vouvoiement est de rigueur. Je suis votre thérapeute et vous êtes mon patient. Ne serait-ce que pour l’éthique professionnelle« .
Il me regarde fixement et sourit. « Reste zen Doc, je suis tout jeune encore. Je suis sorti du ventre de ma mère il y a peu, j’ai toute la vie devant moi. Alors de quel vouvoiement me parles-tu ? Je connais à peine la signification du mot. Et puis nous sommes tous frères chez moi ! Alors à quoi bon mettre des distances ?! Allez, tizremi3! « 
Je garde le silence. Aucun mot ne veut sortir de ma bouche.

Aucun mot ne peut en sortir.

La professionnelle que je suis est chamboulée. J’observe la source de ma confusion : la peau mate et les yeux clairs, un pantalon en toile pouvant même passer pour élégant s’il ne dévoilait pas une paire de chaussures à trous. Le ton insolent d’Israël fait contraste avec un langage corporel agréable, une attitude attachante même. Rien de tout cela n’est cohérent. Pour la première fois de ma carrière je me sens démunie. Mais bon, post-modernisme pour post-modernisme, je suis prête à affronter le chaos et le balagan4 qui règnent dans ma tête en sa présence.

Que la thérapie commence !

———

Je ne sais même pas par où commencer. Elle n’est pas la première, et surement par la dernière à tenter vainement de m’aider. Vais je devoir une énième fois tout raconter, tout justifier ? Une fois de plus jeter mon histoire en pâture. Je n’en ai pas la force. Je suis trop fatigué, exténué même. Le scénario se répète sans cesse. Mais voilà, je suis là, ici dans ce bureau et avec elle. Alors qu’ai-je à perdre que je n’aurais déjà perdu? Mon image n’est plus à ternir, voyons où tout cela va nous mener.
Je ne compte pas lui rendre la tâche facile pour autant, lui déballer ma venue au monde. Rester en surface, voilà la stratégie à suivre. Peut-être arrivera-t-elle à lire en moi, voire même à deviner mon histoire.

J’en doute.

Et puis… pour 350 shekels de l’heure, j’ai bien le droit de lui compliquer un peu la tâche moi aussi.
Je scrute donc la thérapeute droit dans les yeux, le visage fermé, peut-être un peu pour lui faire peur. Je dois conserver mon image de dur à cuire. En tout cas, pour le moment.

Qu’inscrit-t-elle sur ce calepin posé sur ses genoux ? Est-ce ma vie qu’elle va transcrire, mon histoire si complexe ?  Va-t-elle analyser, décortiquer tout ce que je suis sur le point de lui dire ?

« Qu’est ce que tu écris Doc ?« 
« Que pensez-vous donc que je soie en train d’écrire ?«  répond-elle aussi tôt.
« Ça va, ça va, oublie ! Si tu commences à répondre à chacune de mes questions par une autre, comme tout bon Juif, on n’est vraiment pas couchés ! Quelle était ta question d’ailleurs ? La raison de ma présence ici, quelque chose comme ça ?« 

« Oui. Je veux entendre ce qui vous amène ici. »  La Doc se radoucit.
« Eh bien, la vérité c’est que depuis un bout de temps mon oncle Sam, The big boss wannabe, me pousse à commencer une thérapie. Il en est aussi un peu la cause, comme quoi rien n’est jamais simple. Il tente de s’immiscer dans ma vie, de prendre certaines décisions a ma place, parfois même sans se soucier de mon avis… Mais la vérité est que cette fois je pense vraiment qu’il est temps d’essayer une thérapie. C’est ma décision, et celle de personne d’autre.« 

« Comment expliquez-vous ce ressenti, ce besoin de vous livrer ?«  m’interroge la Doc en relevant sa tête de son calepin. « Eh bien, je me sens souvent seul. A la recherche perpétuelle de ma place dans ce monde.  Tous veulent avoir leur mot à dire. La tante Hexagonale, la mère Russie, tout le monde sans exception. Et c’est sans te parler des commérages, des cris, des critiques souvent gratuites. Je suis constamment en conflit avec tous mes cousins, proches orientaux ou éloignés, c’est sans fin, et forcement avec tout ça j’étouffe.« 

Elle me répond en me regardant tendrement. « Tout cela a l’air d’être plutôt douloureux, la plaie semble bien ouverte. Commençons par le commencement voulez vous. Peut être pourriez vous reprendre votre récit de zéro, afin que je puisse vous comprendre et ainsi mieux vous aider. Parlez moi de vous, de votre famille, de votre enfance, parlez moi de votre venue au monde. Dites moi tout.« 


Prochaine consultation dans 1 mois

Yalla5, apprenons un peu l’Hébreu

1. « Walla » – Ha ouais2. « Frayere » – Personne facile à tromper, familièrement pigeon3. « Tizremi » –  Reste cool4. « Balagan » –  Le désordre5. « Yalla » –  Allez

P.S : Un énorme merci à Jonathan F.T. pour la traduction ainsi que pour son aide indispensable

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