Pour la première page news de Roots, j’ai envie de vous parler des quatre Juifs à l’honneur cette semaine : d’un côté, les trois professeurs Arieh Warshel, Michael Levitt (israéliens de surcroît) et Martin Karplus qui ont remporté le prix Nobel de chimie ; de l’autre, la muse de Woody Allen, la sublime et pulpeuse Scarlett Johansonn, qui a été élue « femme vivante plus sexy » par le magazine Esquire.
Je comprends l’engouement et les applaudissements. Mais j’entends d’ici des réactions qui me laissent perplexe. Encore une preuve de notre excellence, de notre élection divine ? J’ai beau essayer, mes fesses ne ressembleront jamais à celles de cette belle blonde, et la chimie… ca fait longtemps que j’ai arrêté d’essayer. Alors, qu’est-ce qui me rattache personnellement à ces individus, à part le hasard de ma judéité ? Je me considère comme une fille plutôt normale. Mais contre cela, contre cette banalité, l’imaginaire juif collectif a crée un mécanisme merveilleux : l’identification à toutes les prouesses des juifs de l’Histoire. Moise, Maimonide, Spinoza, Einstein, Arendt, Ben Gourion, Johansonn… C’est moi, en fait. Potentiellement. Parce que, vous comprenez, on a le même sang qui coule dans nos veines, les mêmes gènes, c’est scientifique : si eux sont géniaux alors nous aussi, pauvres mortels circoncis, nous le sommes.
Le pire dans cette malhonnêteté, c’est le complexe de supériorité qui découle de cette identification. Il y a quelques mois, une amie (moitié musulmane, moitié juive) s’est vue démontrer que, au vu les statistiques, c’est quand même mieux d’être juif que musulman, parce qu’il y a le même nombre de prix Nobel d’un côté que de terroristes de l’autre. Merci, coreligionnaire avisé ! Maintenant, elle peut choisir son camp en toute sérénité, avec une jolie médaille au bout du tunnel.
Bon, je vous l’accorde, c’est facile d’être induit en erreur : alors que les juifs ne représentent que 0,2% de la population mondiale, on leur décerne 22% des prix Nobel. Les juifs sont-ils donc particulièrement intelligents ? La science l’a démontré, il n’existe pas de « gène juif ». Ce serait donc d’autres facteurs qui expliqueraient cette disproportion. Déjà, une grande partie d’entre eux ont étudié aux Etats-Unis. Arieh Warshel, par exemple, sentant qu’il ne pouvait pas évoluer suffisamment au Technion, a décidé de continuer sa carrière à l’University of South California. Et puis n’avait-il pas une mère juive (toujours elle !) qui l’a fortement poussé, usant de toutes les techniques d’intimidation, de culpabilisation que nous connaissons bien pour le pousser vers de hautes études ?
Plus sérieusement. L’aspect culturel est celui que je vais retenir ici, en me basant en partie sur l’étude de Maristella Botticini et Zvi Echstein : « The Chosen Few : How Education Shaped Jewish History, 70-1492 ». En bref, ils montrent que les événements historiques qu’ont vécu les juifs depuis la chute du Second Temple les ont poussé vers des métiers intellectuels. A cette période, le judaïsme a changé de structure : les prières ont remplacé les sacrifices rituels et une multitude de rabbins a remplacé les prêtres du Temple. Pour rester juif donc et éviter l’assimilation, il fallait apprendre à lire et à écrire. Pour financer ces études coûteuses, il fallait abandonner les fermes et se diriger vers les villes, pour faire des métiers plus lucratifs : commerce, médecine…
De là notre tendance à exercer des professions plus qualifiées. Logique. Plus logique que le fantasme de supériorité génétique (raciale ?) qui, au fond, me dégoute un peu. Après avoir été tellement persécutés à cause de théories sur la hiérarchie des races, il faut laisser derrière nous ces systèmes de pensée vieillots et renvoyer Darwin au placard ! Il est temps d’accepter que nous sommes des gens normaux… même nous.
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