Parfois j’aimerais être un juif au Pérou

[avatar user= »yaaahhh » size= »thumbnail » align= »left »]Yoram Salamon[/avatar]

Voilà, c’est ici que commence cette lettre… sur une terrasse de café ombragée de Lima… à 15000 km de Tel Aviv, 10000 km de Paris… J’aurais eu beaucoup à dire sur les mérites architecturaux  de la ville, ainsi que ceux de ses habitants, sur les vertus du Pisco, des Chicanos, du Ceviche et  autres spécialités locales… mais à vrai dire, c’est autre chose qui m’a  marqué ici depuis mon arrivée.

Ici à l’autre bout de la planète, à chacune de mes rencontres, lorsque  j’explique que je viens d’Israël et que je suis juif…le regard des gens ne change pas.

Ça a l’air idiot comme ça, mais ici les gens ne savent même pas parfois  qu’Israël est un pays et le mot « juif » ne leur évoque pas de  sentiment spécifique… 30 millions d’habitants, 5000 juifs et juste une  tentative de parti nazi à 6 personnes qui a fini en eau de boudin…

Ici quand t’es juif, les gens s’en foutent. Bordel… ça fait du bien. Tu  parles avec eux, tu essaies de montrer sur une carte avec ton gros doigt où se situe l’endroit où tu vis, mais comme ton index couvre la partie  de la carte destinée à Israël,  y’a rien à faire, ça ne leur évoque rien. Ils ne voient ni Israël, ni la Palestine, …ni le Liban  d’ailleurs….

Non la Péruvienne, parfois le Péruvien enchaîne juste sur d’autres  questions du genre : tu fais quoi là bas ? Il y a du Pisco ? Il y a des  beach-parties aussi folles qu’ici ? Et toi, tu attends le piège, tu suspectes qu’à tout moment une remarque sur le conflit  israélo-palestinien, ou le mur, ou le boycott, ou la politique du  gouvernement israélien, ou le sionisme va tomber… mais non… rien ne se  passe.

En face ils finissent par te trouver bizarre à être nerveux comme ça, à  les regarder fixement comme s’ils avaient dit une connerie… Mais non… La seule chose que je parvienne à lire dans leurs yeux, c’est une  curiosité sincère et candide.

Une curiosité qui les fait s’émerveiller de voir que tu parles une langue  dont les caractères ne sont pas latins. On me demande même de parler  hébreu, ce qui me permet de gonfler mon égo un maximum, moi qui après 4  ans passés en Israël n’ai pas dépassé le stade de la Kita Beth. Du coup  avec un vocabulaire limité, je me sens « so Israélien », alors que je ne  joue pas à domicile,  en donnant du toda, bevakasha, ma zé, lama à  toutes les sauces.

Comme dit un de mes potes au bled, parfois ça fait du bien de ne plus être  juif dans le regard des autres. Ça repose. Enfin surtout depuis  quelques mois… enfin quelques années… en fait, depuis toujours.

Pourtant, je n’ai jamais caché que j’étais juif. Enfin si, une fois quand  j’avais 11 ans et que ma grand-mère m’a emmené passer des vacances sur  la côte belge flamande. Elle m’avait dit, telle une bonne vielle  ashkénaze, de ne pas crier sur tous les toits que je m’appelais Yoram.  Du coup, je me suis fait appeler Jean-Pierre. Ne me demandez pas  pourquoi Jean-Pierre, mais il semble que déjà à cet âge là, j’avais  commencé à conscientiser qu’en France ou en Belgique, s’appeler  Jean-Pierre t’apporterait moins d’emmerdes que t’appeler Yoram… J’en  aurais la confirmation quelques années plus tard.

Je fais partie de cette génération de Juifs dont les potes cathos et  muslims étaient fiers de dire qu’ils avaient des copains feujs. C’était  presque pour eux une revendication. On était à l’époque de « touche pas à mon pote » et nos potes étaient tous blancs, rebeus, feujs,  blacks. C’était l’union sacrée. Quand parfois un acte antisémite avait  lieu,  toute la France descendait dans la rue, et pas seulement nous. Ça marquait tout le monde, ça choquait tout le monde. Je fais partie de  cette génération qui emmenait ses potes non feujs à la synagogue, qui  sortait sans crainte ou sans honte son étoile de David dans la rue, qui  parlait d’Israël à ses potes comme d’un pays où il les emmènerait un  jour manger un bon houmous. Je fais partie  de cette génération qui a  fait les EEIF et qui, lors des camps d’été, attirait la sympathie des  villageois qui nous voyaient comme les Péruviens me voient aujourd’hui.

Aujourd’hui, en 2014,  j’aimerais me sentir Juif en France, comme je me sens juif à Lima.

Aujourd’hui, en 2014, j’aimerais être un Juif du Pérou…mais partout dans le monde.

Add a comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ne ratez aucun de nos contenus !

En appuyant sur le bouton "S'abonner", vous confirmez que vous avez lu et accepté notre Politique de confidentialité et notre Conditions d'utilisation