[avatar user= »Lauriane ITOUA » size= »thumbnail » align= »left » link= »https://rootsisrael.com/auteur/lauriane/ » target= »_blank »]LAURIANE[/avatar]

Le passage au contrôle de l’aéroport Ben Gurion ressemble étrangement à ce que je ressentais en CM1 devant Monsieur Altairac au moment de réciter ma poésie devant toute la classe. Avec l’envie de bafouiller un “j’ai pas appris” en regardant mes baskets à scratch qui ne scratchent plus depuis un moment. Sauf que là, il faut regarder droit devant, si possible droit dans les yeux de la personne qui t’interroge, et non dans ceux de toute la classe (ce qui est déjà plus difficile car certains baissent les yeux pour éviter d’être le prochain sur la liste). J’ai eu le droit à plusieurs interlocuteurs et plusieurs étapes à valider : une qui me permettra d’entrer en Israël et l’autre d’en sortir.

 J’y vais sans antisèches, sans filet. Le premier mec du contrôle à l’aller me demande mon passeport. En voyant mon lieu de naissance, il me regarde sans grand étonnement et me demande en Russe si je suis Russe. “Da” enfin “Yes” enfin “Ken” enfin “Oui”. Même si non pas vraiment. Saisissant que la question m’avait déjà fait perdre mon français il m’envoie chez un collègue au guichet d’à côté. L’interro commence… en Russe.

Merde.

Comment lui expliquer en Russe que j’ai perdu mon Russe ? Je réponds par des “Da” et des “Niet” mélangé à un peu de Bulgare, ma langue maternelle, pour faire bien et ne pas passer pour une mytho du KGB. Au bout d’un moment, très rapidement en fait, j’abandonne et je lui dis en anglais que je ne parle pas le Russe. Ce n’est pas fini pour autant. Pour faire un parallèle avec ma récitation de poésie, ça ressemblait au faux espoir que tu te fais quand tu avoues que tu ne l’a pas apprise et que le maître te dit “D’accord, c’est pas grave Lauriane”, avant d’ajouter à toute la classe : “Comme je vois que vous n’avez pas révisé votre poésie vous allez prendre une feuille et un stylo. Dictée !”

L’interro se poursuit en anglais. De quelle origine est le prénom de votre mère ? Slave. De quelle origine est le prénom de votre père ? Euh.. Français. Mais il n’est pas Français, pourquoi a-t-il un prénom Français ? Je lui parle de la colonisation du Congo et des missionnaires chrétiens ou je lui parle du fait que mon grand-père choisissait les prénoms de ses enfants dans le calendrier en fonction de la date ? Je crois qu’il ne m’a pas laissé le temps d’y réfléchir, il m’a regardée et m’a demandé pourquoi j’étais née en Russie d’un père Congolais et d’une mère Bulgare.

Là encore plusieurs options, faire le bon choix. J’hésite entre lui raconter la rencontre de deux jeunes étudiants à Saint-Pétersbourg et évoquer la situation de l’Union Soviétique en 1986. J’ai envie de lui parler de mon père qui a quitté l’Afrique pour Moscou  à 18 ans accompagné de sa mère qu’il ne reverra jamais plus. J’ai envie de lui ajouter qu’il n’avait pas de manteau, qu’il a découvert la notion de froid ce jour-là. J’ai envie de lui parler de ma mère qui est partie seule à 16 ans à des milliers de kilomètres pour faire des études de sage-femme. Mais comme je suis nulle en anglais, je lui ai simplement dit qu’”ils étaient à l’école en Russie”.

Soulagée après encore quelques questions sur mes raisons de ce voyage, je suis relâchée et libre d’errer sur la Terre Sainte. Libérée en Terre Sainte. Et libre tout court pour ceux qui connaissent le sentiment que l’on ressent là-bas, à certains endroits, à certains moments. Mais je m’égare..

Au retour, ça s’est corsé. Déjà l’attente, beaucoup plus longue. Plusieurs étapes à passer dont une pendant laquelle j’esquive un coup de coude (involontaire) d’une des contrôleuses, mais pas assez : j’aurai l’oeil comme un volcan en éruption jusqu’à Paris. Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde passait devant moi. Pourquoi ils m’ont gardée de côté. (le meilleur pour la fin ?). La plupart des passagers étaient déjà dans l’avion que j’étais encore avec ma caisse en plastique et mes affaires dedans à attendre mon tour. Deux de mes copines sont déjà parties : l’une est hôtesse de l’air, et l’autre c’est sa soeur, ça a du faciliter le contrôle.

Au moment de passer devant les Experts qui découvrent une dizaine de briquets dans mon sac et me les confisquent, je comprends qu’ils me réservent un traitement privilégié. Pendant qu’un agent inspectait la doublure de ma veste, un autre était en train de démonter le fond de teint Guerlain de ma copine dont le visage se décomposait sur place.

Une femme arrive et me demande de la suivre dans une cabine avec un objet à la main. C’est parti pour la fouille au corps. Au bout de dix minutes d’inspection, elle me sourit et me libère. Je récupère ma bassine en plastique, on me propose de m’aider à tout ranger, je refuse poliment car je suppose qu’on me le propose par politesse et que personne n’a vraiment envie de ranger mes affaires à ma place.

Je note une chose en ouvrant mon passeport : mon voyage en Israël n’y apparaît pas, il n’y a pas de tampon, aucune mention de l’aéroport. Il paraît que c’est pour que j’évite d’être bloquée à la frontière de certains pays arabes qui n’apprécieraient pas cette escale dans ma vie. Mon téléphone lui a gardé tous les sms de bienvenue en anglais et en arabe des compagnies jordaniennes et palestiniennes de téléphonie mobile.

En rentrant chez moi, j’ai ouvert ma valise pour y découvrir un dépliant de la Division de Sécurité de Ben Gurion m’informant que ma valise avait été fouillée à 18h12. A ce moment-là j’ai pensé aux deux gros blocs de sel de la Mer Morte dont je vous parlais à Jérusalem et à Tel Aviv pour ceux qui ont suivi. Je me dis qu’ils ont du trouver ça suspect. Je me regarde dans la glace : j’ai un oeil en moins, celui qu’on m’a arraché à l’aéroport. Verdict : abrasion de la cornée, rien à faire à part attendre que ça passe. J’ai du passer 48 heures les yeux fermés, juste le temps d’accepter le retour à la réalité : Paris.

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