Bonjour à vous et désolé pour vous.
Je suis désolé de vous apprendre que malgré les messages de paix et de fraternité qui sont diffusés, tout ne sera plus comme avant.
Aujourd’hui vous dites que vous n’avez pas peur mais c’est faux. Une ampoule éclate à République et c’est le mouvement de foule. Vous essayez de vous convaincre que tout va bien et que la vie continue mais ce n’est pas le cas et au fond de vous, vous le savez.
Chaque fois que vous allez sortir dans la rue et prendre le métro vous allez regarder les gens et observer leurs gestes, chaque fois que vous allez emmener votre enfant à l’école vous aurez ce bisou en plus et le cœur qui se sert en voyant les 2 militaires devant qui ne feraient pas le poids face à des terroristes qui n’ont rien à perdre.
La fraternité que je vois dans tous les médias, les appels à la solidarité c’est beau, ça redonne foi en l’espèce humaine mais ça n’enlève pas la paranoïa et la peur.
En janvier dernier vous aviez Charlie et vous étiez Charlie, vous avez eu Hyper Casher et vous étiez Hyper casher, et vous avez oublié. Vous n’étiez pas journaliste, vous n’étiez pas juif, vous n’étiez donc pas une cible, cela ne vous concernait pas.
24 heures après l’attentat, même pas, vos murs Facebook ressemblaient à un lendemain d’ouragan ou l’on compte les victimes, on cherche les disparus et l’on s’aperçoit que Stéphane, Thomas, Guillaume on les connaissait. On se souvient les avoir vu à une soirée l’année dernière. Ça vous touche personnellement et ça fait toute la différence. Vous pouvez mettre des visages sur les victimes de cette barbarie et vos yeux sont horrifiés et votre cerveau n’assimilent pas les raisons.
Sur vos Twitter vous avez vu les photos défiler, des gens qui ne sont ni importants, ni connus, ni mêmes d’une religion particulière. Ils sont comme vous, simples et insouciants, vivant dans une démocratie occidentale à 1000 lieux des guerres d’Afrique et du Moye-Orient. Le mot guerre n’a pas la même résonnance depuis quelques jours dans vos têtes et vous ne faites que survoler l’ampleur de sa signification. Jusqu’à maintenant c’était page 317 du Larousse mais aujourd’hui c’est au 50 boulevard Voltaire. Les visages vous attendrissent et même si vous ne les connaissez pas vous n’avez de cesse de vous demander « pourquoi lui, pourquoi elle ». Je ressens ça aussi chaque jour lorsque l’on montre au petit matin les « morts de la veille » à la TV israélienne. Ils sont souriants, beaux et innocents. Ils sont ça en commun avec vos victimes.
Tout n’est pas tout noir, rassurez-vous, dans 6 mois les gens qui ne vont pas au Bataclan ou qui ne vont pas au stade de France, ni même en terrasse auront oublié. Pour eux il n’y aura pas de changement et ils clameront que « les choses vont mieux ».
Pour vous en revanche, votre quotidien ressemblera de plus en plus au notre car vous n’aurez pas oublié que cela peut toucher tout le monde, n’importe où, n’importe quand. Vous chercherez une cure à votre mal-être permanent. Vous savez ce mal-être qui vous prend 5 minutes par ci, 5 minutes par là et qui vous rappelle qu’ici, dans cette exposition, à la poste, en train d’attendre la bus, tout peut arriver.
Pour la fiction je pourrais maintenant extrapoler et vous dire que vous serez ensuite accusé de barbarie à votre tour, vous qui avez tué les « 8 militants » de Paris (source AFP). Vous serez accusés de crime de guerre pour chaque perquisition qui tourne mal et les nations du monde demanderont à ce que l’on prenne des « mesures » contre vous. Bientôt on vous boycottera et on vous accusera de tous les maux. Pour finir vous deviendrez des « gens de nulle part » (Herbert Pagani « Des juifs de nulle part »). Rassurez-vous, ce dernier paragraphe n’est qu’une fiction, ça n’arrivera jamais car vous savez, la fraternité et la solidarité triompheront, n’est-ce pas ?
Vous voyez, le changement c’est vraiment pour maintenant.
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