Dans cette séquence télévisée, l’intervenant accuse les juifs d’avoir dans le Talmud rejetés avec violence Jésus, souhaitant sa mort. Michel Onfray médusé ne peut pas répondre, il n’a pas lu le Talmud. Nous avons demandé à David Shapira qui est historien et spécialiste de l’histoire de Jésus de lui répondre….
Introduction et question initiale
Emmanuelle Adda : Alors David Shapira, le Talmud parle-t-il de Jésus ? Est-ce qu’il en parle vraiment dans des termes aussi méchants, mauvais, rédhibitoires comme vient de le dire Jean Staune dans cet extrait d’émission qui a été produite par CNews ? Il est face à Michel Onfray et il affirme que le Talmud « vomit sur Jésus-Christ », que le Talmud se réjouit que Jésus-Christ ait été tué par les Romains.
Il dit que le Talmud traite Jésus d’abominable, etc. On voit bien que son interlocuteur ne sait pas lui répondre puisqu’il ne connaît pas le Talmud, il n’a pas les références pour pouvoir lui répondre. Mais est-ce que c’est vrai, David Shapira ?
Contexte historique de Jésus dans le Talmud
- David Shapira : C’est une question à laquelle il est très, très difficile de répondre.
Tout cela parce qu’en fait les chercheurs du Talmud et les spécialistes du christianisme ne sont pas d’accord sur les textes même qui, dans le Talmud, évoquent la personnalité de Jésus. Je vais m’expliquer et je vais expliquer de quoi il s’agit. Il y a en effet des textes qui ont été plus tard censurés.
D’ailleurs, tous ces textes ont disparu de la version moderne du Talmud. Ils ont disparu et ils ont été censurés par un pape qui s’appelait Paul IV, il me semble, en 1559. Donc, tous les textes se référant à Jésus dans le Talmud n’existent plus aujourd’hui, ils n’ont plus été recopiés pour des raisons évidentes pour toutes les parties.
Ce qui est intéressant, c’est qu’effectivement il y a des affirmations sur Jésus dans le Talmud qui sont extrêmement violentes : comme quoi c’est un sorcier, comme quoi il s’occupe de sorcellerie. Entre la guérison et la sorcellerie, le pas est très vite franchi, vous le savez.
Emmanuelle Adda : Les miracles et la sorcellerie, vous voulez dire ?
David Shapira: En fait, avant, les guérisseurs n’avaient pas de médicaments. Ils avaient des amulettes, des incantations, des formules. Voilà, c’est comme ça qu’on guérissait, par la parole. Bref, Jésus est reconnu dans le Talmud comme un guérisseur. Mais il utilise la sorcellerie pour guérir et il utilise aussi son savoir. Parce qu’il est cité comme un des rabbins très connus du Talmud, qui s’appelle Yehoshua ben Perahia.
Mais il utilise son savoir, si vous voulez, pour pervertir le peuple d’Israël et le pousser à croire que c’est bien lui le Messie. Et il y a évidemment des affirmations extrêmement violentes sur Jésus, qui s’appelle d’ailleurs Jésus, fils de Pandera ou Jésus de Pandera, ce qu’on ne comprend pas très bien. Ce « Pandera », à quoi fait-il référence ?
Alors pourquoi est-il très difficile de répondre par l’affirmative ou la négative à votre question ? Parce que des livres entiers ont été écrits par des chercheurs de cette période, de la période moderne et de ces quelques décennies.
Différentes perspectives académiques
David Shapira : Et en fait, je dirais qu’il y a trois thèses pour résumer vraiment en deux minutes le nombre de recherches qui ont été faites.
La première thèse, en fait, est qu’il ne s’agit pas de Jésus. Mais le nom de Jésus est rappelé de façon anachronique, et à chaque fois qu’on a évoqué un rénégat dans le Talmud, un blasphémateur, on a mis le nom de Jésus, on a rajouté le nom de Jésus bien plus tard. Et donc, Jésus serait complètement anachronique, n’aurait rien à faire dans le contexte talmudique, bien qu’il soit cité.
La deuxième thèse, plus simple, dit qu’effectivement, il s’agit de Jésus et que les sages, dans le cadre d’une confrontation religieuse, auraient donné leur propre version des faits. C’est-à-dire qu’à partir de la fin du IIIe siècle, début du IVe siècle, où la foi en Jésus se répand de plus en plus parmi les païens, il s’agirait vraiment de commencer à réagir à cette foi, de la combattre et d’essayer de trouver des arguments qui iraient à l’encontre de cette nouvelle foi en Jésus. Donc, il s’agirait du vrai Jésus.
La troisième thèse, enfin, soutient qu’il se peut que ce soient effectivement des accusations contre Jésus avec une tradition historique évidemment très différente de celle des évangiles et que les sages auraient rapporté une véritable réalité historique. En fait, Emmanuel, pour répondre à votre question, on ne sait pas vraiment si le Talmud évoque Jésus en parlant de Jésus, ou s’il s’agirait peut-être d’un autre personnage qui s’appellerait Josué et pas du tout Jésus, voyez.
Emmanuelle Adda : En fait, c’était le « Mosché » de l’époque. Il y avait plusieurs Yehoshua ou Jésus à l’époque. Et on parlait peut-être pas évidemment de celui qui a fondé le christianisme.
David Shapira : Absolument. Ou peut-être que oui, ou peut-être, en fait, que tous ces arguments historiques qui n’ont pas, encore une fois, de fondements réels sont en fait un moyen de combattre, si vous voulez, une nouvelle croyance qui menace le judaïsme et qui méprise aussi le judaïsme. Puisque pour les nouveaux chrétiens, pour ceux qui adoptent une foi en Jésus, nous sommes maintenant un peuple qui est aveugle et qui ne reconnaît pas Jésus. Donc, un peuple qu’il faut mépriser, humilier et rabaisser.
Voyez aussi, encore une fois, une confrontation historique. Et d’ailleurs, cette confrontation va donner lieu, mais beaucoup plus tard, un peu plus tard que le Talmud au Moyen Âge, à une œuvre littéraire qui s’appelle « Toledot Yeshu », c’est-à-dire « L’Histoire de Jésus » ou « Les Histoires de Jésus », qui est une version rabbinique des faits historiques concernant Jésus.
Cette fois, on est après les croisades.
Les croisades représentent un choc terrible pour les communautés juives en Allemagne, massacrées, converties de force ou poussées au suicide en se jetant des remparts des châteaux pour éviter une conversion forcée. Là, il y a un choc terrible, une véritable confrontation, et un texte va émerger : « Toledot Yeshu ».
On est en pleine, je dirais, grande imagination. Ce texte raconte que Myriam (Marie), la mère de Jésus, était une femme respectable fiancée à Joseph. Mais elle aurait été violée par un voisin, donnant naissance à un Jésus qui, bien que sage, était extrêmement insolent. Cette insolence se serait traduite par des affronts envers les sages et la tradition, ainsi que par le toupet ultime de se proclamer le Messie. Pourtant, selon ce récit, il serait le fils bâtard de Joseph et non de Marie et Joseph tels que décrits dans les Évangiles.
Emmanuelle Adda : Donc ça, on est bien, d’accord,
Débat sur l’existence de Jésus
David Shapira : Alors, ça aussi, c’est une question essentielle. Jésus a-t-il existé ? D’un point de vue archéologique et scientifique, on n’a aucune preuve que Jésus ait existé. On n’a rien. La seule chose qu’on a, mais ce n’est pas une preuve, c’est une pierre qui a été retrouvée à Césarée, avec quelques mots en latin mentionnant Ponce Pilate. Voilà, donc l’existence de Ponce Pilate est un fait avéré archéologiquement. Cette pierre, d’ailleurs, on peut soit l’admirer au musée d’Israël à Jérusalem, soit la voir dans des reproductions au site même de Césarée.
Mais sur Jésus, on n’a rien évidemment. Par contre, ce qu’on a l’habitude de dire, ce qu’on enseigne aux historiens ou aux guides touristiques, c’est que nous avons quatre témoignages qui sont issus des élèves, des apôtres, ou des élèves des élèves de Jésus. Je fais référence à Matthieu, Marc, Luc et Jean. Ces quatre témoignages se ressemblent. Ils ne sont pas tout à fait équivalents, mais ce qu’on a l’habitude de dire, c’est que, puisque nous avons quatre témoignages venus de sources différentes qui évoquent l’épopée et l’histoire d’un homme qui aurait accompli des miracles et qui se sentait investi d’une mission divine, il y aurait un noyau de vérité.
Parce que c’est difficile d’imaginer d’avoir quatre versions différentes géographiquement et philosophiquement sur la même personne. Donc, sur la base de ces quatre témoignages, il semblerait que Jésus ait existé. Y a-t-il une preuve scientifique, encore une fois, archéologique, sur l’existence de Jésus ? La réponse est non, non. Et beaucoup d’historiens de cette période ne signalent pas l’existence de Jésus, sauf un, dont les lignes ont été très probablement rajoutées bien plus tard après sa mort.
Je fais référence à Flavius Josèphe, qui, dans son œuvre monumentale, évoque Jésus sur environ 10 lignes, ce qu’on appelle le « Testimonium Flavianum ». Mais tout le monde s’accorde pour dire que ces lignes ont été un ajout tardif à son œuvre.
Implications modernes et interprétations erronées
Emmanuelle Adda : Alors revenons un petit peu décryptage de cet extrait d’émission.
Avec Michel Onfray et ce personnage, M. Jean Stock, qui est philosophe des sciences mais ni philosophe des religions ni historien des religions, il affirme que le Talmud dit que Jésus-Christ est une abomination, que les Juifs le détestent et qu’ils ont été très, très contents de le voir mourir.
Alors, moi, en écoutant ça, je ne savais pas si c’était vrai ou pas, parce que je n’ai pas lu le Talmud, mais je me suis dit que dire cela sur une antenne de télévision française ne peut qu’enflammer encore plus les antisémites. Ils vont dire : « Ah, tu vois, en plus c’est écrit dans leur Talmud, les Juifs n’aiment pas Jésus, ils détestent Jésus, ils se sont réjouis de sa mort. »
Cela alimente des accusations graves, que personne ne dément sur le plateau, car personne ne connaît l’histoire ni les sources.
Mais qu’est-ce que vous en pensez ?
David Shapira : Soulèvement. Absolument. Donc dire que les juifs, d’abord les juifs, aient fêté la mort de Jésus, c’est une aberration. La mort de Jésus, je vous rappelle, est fêtée à Pessah, et nous, à Pessah, on a d’autres chats à fouetter, comme vous le savez. Nous avons un séder à organiser avec un sacrifice qui s’appelle l’agneau pascal, et pas la mort de Jésus.
Donc, il faut toujours remettre les écrits dans leur contexte historique.
Réaction à l’accusation de haine envers Jésus
Emmanuelle Adda : Si vous auriez été face à lui, vous lui auriez dit quoi à ce monsieur,
David Shapira : Je dirais que c’est une aberration. Quand les juifs ont été persécutés par les chrétiens, ils ont été obligés de réagir, et de réagir avec force.
Je rappelle que, dans l’histoire du peuple juif, je ne vois pas d’épisode où les juifs aient persécuté les chrétiens. Cela n’est quasiment jamais arrivé. Même depuis la naissance de l’État d’Israël en 1948, les autorités ont toujours fait preuve d’un respect extrême envers les lieux chrétiens et les croyants.
En revanche, si l’on retourne l’histoire et que l’on se demande quand les chrétiens ont persécuté les juifs, c’est une autre affaire. Au nom du christianisme, il y a eu des viols, des massacres, des expulsions et des spoliations. Je ne peux même pas énumérer toutes les persécutions chrétiennes contre les juifs.
Et après cela, certains s’étonnent que les juifs puissent avoir des sentiments mitigés envers le fondateur de cette foi chrétienne. Cela dit, il est important de rappeler que ce fondateur ne savait pas qu’il allait donner naissance à une nouvelle religion.
Je pense d’ailleurs que le concile Vatican II a permis de mettre les choses à plat. Il a interdit aux chrétiens de manifester ce mépris qui faisait partie, auparavant, de leur foi. Ce concile a reconnu que Jésus était juif, que ses racines étaient juives, et que la foi chrétienne plonge ses racines dans le judaïsme. Celui qui souhaite comprendre les évangiles doit être un bon connaisseur du judaïsme et de la foi juive, pour appréhender l’environnement dans lequel Jésus a grandi.
Emmanuelle Adda : Alors là, vous me tendez une perche, vous me tendez une perche là, David. J’ai envie de vous poser une petite question pour conclure cet entretien : avez-vous vu cette célèbre photo qui a circulé ces derniers temps, justement à l’occasion de Noël ? On voit Jésus dans un décor palestinien, dans la crèche, etc., avec le pape et tout. Qu’est-ce que vous en avez pensé ?
Compassion chrétienne et question palestinienne
David Shapira : Les chrétiens ont une faiblesse psychologique ancrée dans leur foi, une tendance à la compassion envers les pauvres, les démunis et les malades. C’est presque un réflexe de Pavlov. Dans leur conscience, l’opprimé par excellence, c’est aujourd’hui le Palestinien.
Je me rappelle une fois où j’étais dans une auberge chrétienne sur le mont des Oliviers appelée la Maison d’Abraham. Cette maison accueillait un orchestre venu de France. Cet orchestre donnait des concerts gratuits à Naplouse, Ramallah, Djénine, et Bethléem. Je me suis alors demandé : pourquoi seulement pour les Palestiniens ? N’avons-nous pas, en Israël, des populations démunies à Migdal, Dimona ou ailleurs qui mériteraient elles aussi de profiter d’un concert gratuit ?
Un ami chrétien m’a répondu que pour eux, tout ce qui est perçu comme persécuté ou démuni est systématiquement une cause juste. Cependant, il y a une forme d’aveuglement dans ce discours. Certaines de ces communautés préfèrent accumuler des armes et produire des missiles pour nous attaquer, au lieu de bâtir des infrastructures comme des hôpitaux qui servent finalement de bases militaires. À Gaza, ces lieux deviennent rapidement des quartiers généraux du Hamas.
C’est un point qu’il faut analyser avec lucidité.
Emmanuelle Adda : Merci beaucoup pour ce petit décryptage de l’actualité et d’une actualité ancienne, mais aussi d’une actualité récente. Merci, David shapira.