[avatar user=”Philippe Amar” size=”thumbnail” align=”left” link=”file” target=”_blank”]PHILIPPE AMAR[/avatar]
Il y a une semaine, les Juifs du monde célébraient le Grand Pardon. Durant cette journée, il est de coutume de demander pardon à ceux que l’on a offensés, mais aussi de pardonner à tous ceux qui nous ont blessés. Ce qui met la notion de « Pardon » au centre d’une véritable réflexion.
Mais vingt-quatre heures sont-elles suffisantes pour se pencher sur ce concept ? Le jeûne qui l’accompagne serait censé provoquer un recentrement sur soi propice à cette médiation, la pénitence par le vide qui conduit à la révélation divine. Mais qu’en est-il en réalité ? La soif qui progressivement vous envahit au cours de la journée, bien plus que la faim, la tentation de rompre le jeûne qui devient une pulsion à combattre, la frustration épouvantable du fumeur compulsif en état de sevrage forcé, le combat contre le manque d’énergie qui peut engendrer des vertiges et des malaises inéluctables pour les plus fragiles, sans oublier les précautions que les familles mettent en œuvre afin de protéger ceux qui malgré leur grand âge et la sagesse qui les caractérise tiennent absolument à jeûner au péril de leur santé. Que reste-t-il en fin de compte de cette sérénité qui nous est indispensable pour méditer ?
Au-delà des rituels religieux et du suivisme communautaire, le symbole du Grand Pardon est un symbole fort, mais aussi, laïc. Se faire pardonner et pardonner. Il faut faire preuve de l’humilité la plus profonde pour atteindre ces objectifs.
Se faire pardonner ? Certes mais auprès de qui ? Encore faut-il se souvenir à qui l’on a fait du mal, à qui l’on a manqué de respect, consciemment ou inconsciemment. C’est une réelle introspection que d’essayer de se souvenir de toutes nos mauvaises actions de l’année. Bien plus facile de se souvenir des bonnes.
Mais soit, il est bien légitime de regretter d’avoir été la cause des larmes et du sang. C’est une image bien entendu. Mais bien plus qu’une image, l’humanité qui se dégage de nous est avant tout un sentiment. Alors autant en faire preuve dès que l’on nous en donne l’occasion. Se faire pardonner en groupe affecte moins l’ego que le faire à titre individuel.
La communion mondiale de cette journée du Grand Pardon est donc le moment le plus opportun pour faire sa demande. Mais parfois, revenir sur ce qui a heurté, peut ne pas faire partie de nos plans. Qui sait, peut-être avons-nous eu le sentiment à ce moment-là d’être dans notre bon droit, d’être juste.
Mais de quelle justice s’agit-il ? La notre. Et seulement la notre. La remettre en question peut nous coûter. Et si elle s’avérait juste, même devant un tribunal imaginaire, alors que signifie ce pardon que l’on quémande ? Est-ce une absolution ? Si je lui ai fait du mal, et qu’il m’en a fait lui aussi, alors tout s’annule puisqu’il va lui aussi me demander de lui pardonner ce jour-là ! Tout cela devient bien confus ! Et tout se corse s’il n’est pas de la même religion, parce qu’il ne me demandera rien du tout, n’étant absolument pas concerné par ce grand jour de la rédemption. Quel dommage ! Nous pouvions en profiter pour nous pardonner mutuellement. La dette n’est donc pas annulée de son côté. Mais comme je dois le disculper de ses mauvaises intentions, et de ses actes agressifs à mon encontre, tout est finalement réglé unilatéralement. Bien pratique quand-même !
Pardonner à tous ceux qui m’ont offensés signifie leur accorder des circonstances atténuantes. On en trouve toujours, le stress en étant le dénominateur commun, et l’excuse imparable. Un peu comme le fait valoir un médecin qui a un mauvais diagnostic. Nous sommes tous des humains, guidés par les affres de la société, nous n’avons plus de libre arbitre, et si notre langue fourche, c’est qu’on nous a manipulé ! Les vagues du cynisme ambiant emportent-elles avec elles l’âme du Grand Pardon ?
Il s’agit de religion avant tout, nous dit-on. Alors faut-il demander pardon de ne pas la respecter à la lettre, de ne pas la pratiquer scrupuleusement ? Ou faut-il nous concentrer exclusivement sur les fautes, « civiles » ? Question inutile ! Le pardon dépend de chacun. Si la colonne vertébrale de la vie, n’est rien d’autre que l’estime de soi, elle passe implicitement par le pardon de soi. « Se » pardonner c’est avoir à la fois de l’indulgence et de la rigueur pour soi-même. C’est faire son propre bilan avec sa conscience. Mais le terrain de la méditation est trop vaste pour n’être exploré que durant vingt-quatre heures.
Que cette date du Grand Pardon soit le début de nos méditations, et qu’elles durent toute l’année ! « Se » pardonner pour éviter de reproduire les mêmes erreurs, et oublier le passé. « Se » pardonner pour ne plus se retourner. « Se » pardonner parce que la culpabilité n’est qu’un boulet qui nous empêche de marcher. « Se » pardonner c’est se donner la chance de devenir meilleur, s’élever vers des univers que l’on ne pensait pas atteindre, se pardonner d’être trop jeune, trop vieux, trop grand ou trop petit, trop beau ou pas assez, trop riche ou trop pauvre, trop gros ou trop maigre, trop simple ou trop compliqué, « se » pardonner, c’est s’accepter pour mieux s’aimer. Et s’aimer, c’est être heureux.
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