SARAH FRECHY

Jean-Paul Sartre disait qu’on devenait juif par le regard de l’antisémite.

C’était des conneries. La vérité, c’est qu’on se découvre français dans le regard de l’israélien, qu’on exhume sa francité enfouie ou fantasmée, par la confrontation d’avec le local qui nous renvoie cette image camembert-béret-voulez-vous-coucher-avec-moi.

Du coup, on se met à revendiquer cette identité française kitchisée avec l’énergie du désespoir.

La preuve ? Les preuves ? (oui j’en ai plusieurs, mon argumentation est béton armé)

 Les voici:

-A Paris, tu faisais tous les dimanches la queue chez l’As du Falafel pour avoir ta dose d’houmous et d’accent israélien, histoire de te sentir un peu à Tel-Aviv, au soleil. Depuis que tu vis en Israël, tu cherches, comme un toutou son maître, LE boulanger israélien qui te fera une baguette digne de ce nom. Tu les as tous essayés et à chaque fois, tu fais craquer le crouton en disant d’un air de fin connaisseur : « Ce n’est pas encore ça, elle se laisse manger mais ce n’est pas de la vraie baguette française»

-A Paris, tu courrais assister à tous les concerts d’artistes israéliens organisés par Zaka, MDA et autres organismes de charité. Eyal Golan, Shlomi Chabat, Sarit Haddad, tu pleurais en chantant « Chema Israël » ou « Israël Hi Habayt cheli », enveloppé dans ton drapeau d’Israël. Et t’étais content de payer ton billet un rein. Ici, tu te mets de disques de Gerard Lenorman ou Maxime Leforestier (ou tout autre chanteur de la radio nostalgie) en disant : ah la chanson française…. Dès qu’un chanteur français vient en Israël, Gilbert Montagné, Patrick Bruel, tu cours prendre ta place. Et t’es toujours aussi con-tent de payer ton billet un rein. Comme quoi, les racines culturelles, c’est un vrai business.

-A Paris, tu n’as jamais mis les pieds chez Fauchon, cet endroit de bourgeois parisien Saint-Germain-des Prés où même respirer coûte du fric. Ton plan à toi, c’était Zazou rue du faubourg Montmartre pour une citronnade et du boulou étouffe-chrétien. Mais sitôt que Fauchon a ouvert à Tel-Aviv, là aussi, t’as fait la queue (décidément t’aimes ça) en parlant français bien fort pour montrer à ces sauvages d’israéliens que toi tu t’y connaissais en pâtisserie française. Quand tu as goûté à ton millefeuille de 40 shekels, tu as bien pris soin de dire bien fort : Pas mal, mais il était meilleur à Paris !

-A Paris, tu n’as jamais mangé de fromage de ta vie (faut dire que tu n’as que deux reins) à part du boursin. Ici, tu fais ton paysan en achetant ton fromage à la coupe chez Basher au Shouk Hacarmel ou à Mahane Yehuda. Tu kiffes inviter tes potes israéliens et leur faire goûter plein de fromages qui puent mais qu’ils ne savent pas apprécier ces rustres. Fais attention tout de même, à ce stade, il ne te reste déjà plus de rein.

En bref, depuis que t’es ici, tu te la pètes, sans doute pour cacher les galères de l’intégration, pour garder la tête haute dans un pays si dur que tu aimes, qui t’aime mais qui veut te ranger dans une petite case. Sans doute aussi parce que tu comprends dans ta chair qu’en France, le climat te faisait ressentir le besoin de te vivre comme Juif mais qu’ici, le déracinement te fait ressentir le besoin d’être français. Sans doute parce qu’on a beau chanter l’Hatikva la main sur le cœur, kiffer dire d’un air blasé de commentateur géo-politicien « De toutes façons, la France c’est fini, on est mieux ici », on reste, indécrottablement, irrémissiblement, incurablement: des Tsarfatim.

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