Plusieurs jours ce sont passés depuis l’enterrement, une spirale de violence commence à naître, des débats apparaissent, des clivages aussi. Le jeune Palestinien semble avoir bel et bien été tué par des extrémistes juifs… bref, des terroristes.
Dans ces conditions, certains m’ont reproché mon texte publié le jour de l’enterrement de nos trois garçons, d’autres s’en sont emparés, en lui donnant un sens qu’il n’a pas. C’est sans doute autant de ma faute que de ceux qui l’ont lu à leur manière.
Et pourtant, je le relis… et je réécrirais la même chose.
Ce texte était une réaction simple et spontanée, pleine de colère, mais sans aucune haine.
Alors oui, je reprends chacune des phrases et je les résigne à nouveau.
« Ce soir, j’ai les images des trois corps à l’enterrement sous les drapeaux d’Israël qui me hantent. »
– Nous enterrons nos morts avec un simple linceul, laissant apparaître la forme des corps, nous sommes donc directement confronté à la silhouette de la mort, sans détour et sans filtre. Les conditions de leur mort deviennent alors directement visible.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, il est 21h00, et depuis plus de 24 heures je suis asphyxié par le choc. »
– Lorsque l’on m’a annoncé la nouvelle, j’ai été choqué et j’ai pensé à mes propres enfants.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, je me fous de votre coupe du monde. »
– Chez les francophones, juste avant la nouvelle, on parlait surtout du match France-Nigeria qui tout d’un coup devenait totalement futile, les choses soit-disant importantes de la vie étaient balayées par les choses essentielles.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ni les mots de « vengeance » ou de « faire payer » n’ont assez de sens pour exprimer mon sentiment. »
– J’ai toujours pensé que la justice avait une puissance et une force bien plus grande que la faiblesse de la vengeance, et cette « vengeance » tant réclamer par d’autres n’avait et n’ont toujours pas assez de sens à mes oreilles, et plus encore après l’arrestation des terroristes juifs dans la mort du jeune Palestinien.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ne me demandez pas d’être de gauche. »
– Lorsque je discute avec des amis, on me classe toujours à gauche, toujours partisan d’un dialogue, ne fermant pas la porte, ayant l’envie de connaître ce voisin si proche et si loin à la fois. Pourtant je ne peux fermer les yeux sur ce qu’il se dit des Juifs à quelques kilomètres de chez nous. Sur ce qu’il s’y passe aussi. Cela tempère mes ardeurs sans les éteindre, et m’éloigne alors d’une certaine gauche, me donnant l’envie d’en découvrir une autre.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ne me demandez pas de tendre la main et encore moins l’autre joue. »
L’histoire du peuple juif est faite de moments de bonheur oui, il faut le dire, mais aussi de moments de grande souffrance et de malheur. Notre taille, notre histoire, ne nous permettent pas d’avoir ce luxe de tendre la main à celui qui appelle à notre fin, de tendre l’autre joue à celui qui veut notre extermination.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ne me parlez pas de paix avec ceux qui tuent mes frères. »
Vivre en Israël, c’est parfois avoir le sentiment que plus qu’une nation, on vit dans une énorme famille dont on ne connait pas tous les membres et comme dans toutes les familles, dont les membres s’aiment… plus ou moins. Et si demain, on tue l’un de ses membres juste car il est de votre famille, la question de la paix ne peut passer que dans celle de la prise de conscience du crime. Il peut y avoir une paix sans justice (c’est déjà arrivé, que cela plaise ou pas), mais pas de paix sans prise de conscience des crimes.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, j’ai la haine contre ceux qui sèment la haine. »
Plus encore que l’autre soir, cette phrase a pris du sens. Plus encore avec la mort du jeune Palestinien, je réécrirais 100 fois cette phrase, mais même sans cela, tous ceux qui partout on appelait à la haine, dans tous les camps que ce soit contre les Juifs ou contre les Arabes. Je ne peux pas non plus faire comme si l’enseignement de la haine n’était pas un fait officiel chez nos voisins palestiniens. Pierre Vidal-Naquet, qui était pourtant très loin d’être pro-israélien (il avait affirmé que la politique israélienne était criminelle et suicidaire), avait lui même pointé cette réalité et le fait qu’il n’était pas possible de faire une équivalence entre Israéliens et Palestiniens sur ce sujet.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, je n’oublie pas comment le monde a ignoré nos jeunes. »
Je ne demande pas que l’on vienne défiler par million dans les rues du monde entier, car alors que dire pour tous les morts dans tous les conflits du monde, ignorés, que ce soit en RDC, en Centrafrique ou ailleurs. Non. Mais l’obnubilation du conflit par les médias est telle, du fait de sa portée symbolique plus que par son poids réel, que ces enlèvements auraient du avoir un impact plus important.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, je me souviens que comme à Entebbé où les terroristes pro-palestiniens ont séparé juifs et non-juifs, ce ne sont pas des jeunes en tant qu’Israéliens qui ont été tué, mais aussi et surtout en tant que Juifs. »
L’Histoire du mouvement national palestinien est entaché dès son origine de ce péché originel: la haine des Juifs. Depuis les émeutes de Jerusalem en 1920 jusqu’aux programmes de TV palestiniens. Je ne peux pas faire comme si cette réalité n’existait pas. On l’a presque oublié aujourd’hui, mais le choc fut lorsqu’à Entebbé les passagers ne furent pas séparer entre Israéliens et non-Israéliens, mais entre Juifs et non-Juifs, tout comme à Hebron en 1929, les Juifs massacrés n’étaient pour la plupart même pas sioniste…
Tout comme l’Eglise catholique a fait un aggiornamento sur son histoire avec les Juifs, j’attends la même chose de la part des dirigeants palestiniens, une reconnaissance que l’acte de naissance du peuple palestinien a été signé avec du sang juif. Car, contrairement à d’autres, je ne nie pas l’existence du peuple palestinien, je dis juste qu’il est récent, jeune et sa naissance entaché du sang des Juifs de Jerusalem, Hebron et Safed.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, je revois les images de ces mères, dignes, appelant le reste du monde à l’aide dans un silence glaçant. «
Cette image au conseil des Droits de l’Homme de ses mères, ne sachant pas où étaient leur fils m’a profondément marqué, et regardant vers le reste du monde. Je rappelle que la mère d’un de ces jeunes à rappeler que le sang verser d’un côté ou de l’autre n’avait pas de sens… Je vois que la mère du jeune Palestinien assassiné appelle à un nouveau cercle de violence. Je ne peux pas faire comme si ce n’était pas aussi une réalité.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, je sais que depuis plusieurs jours le sud du pays est sous les roquettes. »
Je ne peux même pas m’imaginer comment dans toute cette cacophonie, nous finissons par ne plus entendre les sirènes qui résonnent à nouveau dans le Sud d’Israël.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ne venez pas me dire que l’on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis. »
C’est une phrase que j’ai souvent entendu. « On ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis. » Non, on ne peut faire la paix qu’avec celui qui ne veut plus être un ennemi. Tant que je n’entendrais pas le Hamas dire « Je ne veux plus être l’ennemi d’Israël », je n’aurais aucune raison de me dire que l’on a un partenaire avec eux.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, je n’oublie pas la lâcheté du monde. »
Oui, mais nous ne sommes pas seule à y faire face. Les Rwandais durant la période du génocide contre les Tutsis, les Bosniaques musulmans de Srebrenica pendant la guerre en ex-Yougoslavie, et tant d’autres, savent à quel point le reste du monde a cette capacité à rester les bras croisés. C’est cette réalité sur la passivité du reste du Monde qui nous oblige à considérer que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, tant mieux si nous avons des alliés, tant pis si ce n’est plus le cas. Se protéger, oui. Se venger, non.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ne venez pas me dire que « c’est ce qui se passe quand on colonise » … car c’est déjà arrivé trop souvent ailleurs. »
Je ne considère pas les Palestiniens comme des animaux, non. Ils sont humains, totalement humains, (im)parfaitement humains, comme nous. En ce sens, contrairement à des animaux qui ne sont pas responsables de leur fait, leur humanité les oblige à la responsabilité de leurs actes, que ce soit en bien ou en mal. Et quand parmi eux, certains commettent le genre de crime commis contre des personnes du faire de leur apparence ou leur naissance, ils le sont pleinement, et l’on ne peut pas les imputer simplement à des conditions. Lorsque l’on appuie sur une gâchette pour tuer un innocent, on ne peut pas déresponsabiliser celui qui le fait. Nos jeunes sont morts car choisis comme juifs en tant que juifs. Leur présence sur place n’a pas plus à voir que celle des enfants juifs à Toulouse ou des visiteurs du musée juif en Belgique. Les circonstances du conflit sont un facteur, mais par un déterminant… justement car ces Palestiniens ne sont pas des animaux qui réagiraient comme des animaux à des stimuli, mais des humains qui prennent des décisions. Il n’y a pas plus de circonstances atténuantes pour eux que pour Baruch Goldstein, évoquant les actes terroristes palestiniens, lorsqu’il a massacré des palestiniens à Hébron ou pour ceux qui ont brulés le jeune Palestinien.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, que le reste du monde se taise. »
Les condoléances que l’on a entendu avait elle aussi un arrière gout un peu amer.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, ne me demandez pas d’être pacifiste… on sait ce que les pacifistes sont prêts à sacrifier pour leur « paix ». »
Être pour la paix, c’est beau. Mais quelle paix? Je n’aime pas faire des parallèles historiques hasardeux, surtout avec la seconde guerre mondiale (c’est presque devenu à la mode, de tout qualifier de nazi ou de fasciste, ça permet d’étiqueter ses opposants à moindre frais), cependant, je ne peux pas faire comme si l’Histoire ne nous avait pas appris certaines leçons, et en particulier sur le pacifisme. Oui, je n’ai pas envie d’un nouveau Munich 1938 où, tellement focalisé, sur notre envie de paix, nous en oublierions avec qui nous la ferions. La philosophe Simone Weil, avait pendant la période de l’entre guerre et de l’avènement du nazisme affirmé que si pour maintenir la paix, il fallait accepter le statut discriminant contre les Juifs en Allemagne, alors c’était un mal pour un bien. Face à la guerre, bien entendu, elle changea d’avis. Dans cette position pacifiste, la logique était « La discrimination de quelques juifs vaut bien le coup afin de sauver des millions de vie d’une nouvelle guerre ». On a vu le résultat d’un tel aveuglement.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Ce soir, gardez vos leçons de morales qui sont tellement immorales. »
Voilà, toutes ces leçons sur la paix, je ne suis pas sur qu’elle apporte finalement le calme auquel nous aspirons tous pour la plupart. Derrière tant de belle parole, il se cache parfois plus le besoin d’affirmer sa propre moralité.
Ai-je envie de voir Gaza bombardée? Non. Mais j’ai encore mois envie de voir Sderot sous les roquettes.
Oui, je réécrirais cette phrase.
« Oui, ce soir… et pour toujours. »
Oui, je réécrirais donc toutes ces phrases encore maintenant. Sans doute je les expliquerais plus.
Mais nulle part, à aucun moment, je n’ai parle en généralisant sur Tous les Palestiniens. Simplement car je ne les connais pas tous. Par esprit de justice (et non de vengeance), ce sont les agissements et les attitudes que j’ai pointé et que je ne cesserais de pointer du doigt.
Il faut penser à toutes les victimes… Neftali, Gilad, Eyal, mais aussi Mohammed… et Shelly Dadoun (dont personne n’a parlé).
Que faire?
Si je le savais, je ne serais pas en train d’écrire, mais en train de recevoir mon prix Nobel de la Paix.
Je me dois de rajouter un point, essentiel dans ces débats et ces évènements qui nous secouent.
Nadia Ellis a écrit un texte sur Times of Israel, sur ses sentiments autour de la haine qu’elle voit autour d’elle.
Nous nous connaissons et je me vante de pouvoir la compter parmi mes amis et j’espère que la réciproque est vraie.
Certaines de mes précisions, en particulier sur le fait que nos jeunes sont morts car Juifs et pas simplement innocentes victimes des circonstances, y répondent. Car si je suis d’accord avec elle sur beaucoup de ses sentiments, je suis aussi en désaccord avec elle sur certains points.
Suite à son texte, certains l’ont insulté, entre « Collabos » et « Self Hating Jew ».
Je veux saluer son courage à s’exprimer, librement, sachant en conscience le torrent d’insultes qu’elle allait recevoir, et aussi, parfois de manière plus gênante, les soutiens intéressés et opportunistes qu’elle allait avoir.
C’est son droit absolu d’émettre une opinion, un sentiment, une idée, un argument.
C’est mon droit (et celui d’autres) d’être d’accord ou profondément et totalement en désaccord et d’expliquer pourquoi.
Elle n’a pas besoin de moi pour la défendre, elle sait très bien le faire toute seule.
En revanche c’est aussi ma responsabilité de rester solidaire de Nadia quand elle se fait injurier. Aucune de ses positions dans son texte ne justifient la haine. Rien. Seul un désaccord, seuls des arguments, seuls des idées peuvent s’opposer à d’autres idées.
Nadia, tu as eu raison de t’exprimer, j’ai raison aussi de ne pas être d’accord. Cela ne doit pas entacher nos échanges et le respect que nous avons l’un envers l’autre.
Alors faut-il raser Gaza?
Si l’on me démontrait que c’était la seule et unique manière de cesser les tirs de roquettes, d’avoir la paix et de mettre fin au Hamas, je dirais oui. Mais je doute que ce soit la seule manière. Avant d’en arriver là, si nous n’essayons pas tout avant, alors nous aurons échouer dans ces valeurs que nous prétendons défendre si ardemment.
Ce sont donc mes convictions, mais sans aucune certitude.
Je doute et je me trompe peut-être. Je prends le risque. Mais j’essaie de toujours choisir mes convictions en ayant soigneusement pris soin de regarder tous les faits… et quand les faits qui me sont présentés changent, mes convictions aussi.
Je serais sans doute donc jamais assez de gauche et pacifiste pour certains ou trop à gauche et naïf pour d’autres. Si je voulais me vanter, je dirais que c’est sans doute le signe que je suis plutôt dans le vrai, mais si je suis honnête, ceux qui ne pensent pas comme moi, d’un côté ou de l’autre ont chacun d’excellentes raisons de penser différemment de moi.
Et c’est ça qui fait Israël.