[avatar user=”Eran” size=”thumbnail” align=”left” link=”file” target=”_blank”]ERAN SCHWARTZ[/avatar]
Dans le genre festival branché spiritualité, à la façon du Burning Man dans le Nevada, gratuité des échanges, communion dans l’art, autogestion et respect de la nature, nous les juifs, on est un peu à la ramasse. Nos fêtes à nous, elles ont beau être super, elles consistent surtout en prières monotones dans une synagogue qu’a désertée toute inspiration collective (Montée du Sefer, 1 fois, deux fois, 3 fois, adjugée à la famille CO2), à de la bouffe, des siestes, de la bouffe, des siestes, et à la fin à des pulsions meurtrières intra-familiales.
Parce que nos fêtes à nous, elles se passent en famille avec la guerre préalable qui use les couples, épuise les consciences et les nerfs : chez qui vous allez cette année ? L’équation est impossible à résoudre. Quoi que tu fasses, t’es mal : tu vas chez ta mère, t’es un fils à maman et ta femme te fera la gueule, tu vas chez ta belle-mère, ton père fait kadish pour tes couilles et ta mère va te faire chier avec ça jusqu’à Pessah.
Et si la solution, c’était de se casser, de filer à l’ukrainienne et de partir avec tes potes, tes frères, ton père (lui aussi il en a marre de ta mère), à Ouman, chez Rabbi Nahman qui invite chaque année tous les juifs du monde à venir passer le nouvel an sur sa tombe pour prier, chanter, danser, communier en ce jour du Jugement juif ? Pour les bénédictions style marabout Fertilité, réussite, argent, retour de l’être aimé, je ne garantis rien. Je garantis par contre une expérience authentiquement juive, authentiquement roots, une expérience qu’on n’oublie pas. Franchement le truc a de la gueule, on pourrait presque le rebaptiser le festival du Praying man. Le new age c’est périmé, nous on fait dans l’old age qui est toujours frais.
Petit rappel historique : Rabbi Nahman, le Kafka hassidique auteur de poèmes et de contes d’une profondeur mystique sublime (« Il n’est de cœur plus entier qu’un cœur brisé ») n’est pas originaire d’Ouman mais de Braslav, comme son nom l’indique. A la suite de persécutions antijuives, un groupe de juifs « éclairés » l’a invité à vivre à Ouman. Il a spécifiquement demandé à se faire enterrer là-bas, dans un charnier, parmi les milliers de ses frères juifs morts dans un pogrom. Un petit côté satanique qui n’est pas pour ôter à son charme.
Les agences de voyages antisémites pardon ukrainiennes attendent toute l’année la manne Ouman. Goutez l’ironie et le savoureux de la chose : le pays le plus antisémite d’Europe (ex aequo avec quelques autres, on ne va pas chipoter) gagne une bonne partie de ses revenus touristiques grâce aux juifs religieux ou moins religieux.
Les macros israéliens travaillent de concert avec leurs homologues ukrainiens pour ramener du stock de filles pour les âmes en perdition qui ne trouveraient pas l’extase dans la prière. (Enquêtes israéliennes récentes). Le paradoxe, qui n’est pas l’un des moindres d’Ouman, c’est que le Rabbi Nahman a consacré une bonne partie de sa vie à lutter contre la faute majeure dans le judaïsme de la masturbation masculine qui serait la meilleure façon d’abîmer son âme. Et qu’il a promis à tout celui qui irait le pèlerine la fin des tourments onanistes. Bon tu me diras, une pute ce n’est pas de la masturbation. Qui a dit que le judaïsme était casuiste ?
Spirituel, collectif, transe, prière, isolement en forêts. En fait, Ouman, c’est un peu le nouveau Woodstock, non ?
Parce que si t’es chanceux tu pourras peut-être fumer un shit avec Doc Gyneco qui y était l’an dernier, et sauter à poil d’une des magnifiques chutes d’eau ukrainiennes (deux en un kif et mikve purificateur en même temps)
-Tu peux entrer en transe en chantant les prières, et en dansant une danse hassidique sur une mélopée hypnotisante (ayayayaoyoyoyoyayayay) Au bout d’un moment, la répétition, l’effet de la foule, fait qu’il se passe quelque chose de l’ordre de la magie. Tu sens ton âme te quitter. C’est grandiose.
-Parce ce que tu as envie d’essayer la « hitbodedout » cette technique mystique d’isolement dans les forêts pratiqués par les hassidiques. Tu marches, tu entres en méditation en contemplant un arbre respirer au gré du grand souffle divin (tu as pris un shit avant, ca aide aussi).
-Parce qu’Ouman c’est ouvert à toutes les nuances du juif, du laïc à l’ultra-orthodoxe. On ne va pas te regarder de travers parce que t’as pas le costume papillotes. La méthode, c’est la techouva par la vodka.
Les burners qu’on appelle comme ça, non pas à cause de leurs burnes, mais bien parce qu’ils brulent une effigie humaine comme clou du festival américain, témoignent tous du fait que le Burning les a habités pendant longtemps et qu’on repart avec une énergie folle, une foi en l’humanité qui irrigue tes veines de feel-good sensations. Les oumanistes, qui eux sont exclusivement burnés (désolé les girls, à Ouman pendant Rosh Hashana, vous êtes reléguées au second plan) relatent une expérience similaire. Un souffle de spiritualité insufflé à ton année qui commence. Un jewish-trip, quoi.
(198)