[avatar user=”Charlotte_N” size=”thumbnail” align=”left” link=”https://rootsisrael.com/auteur/charlotte-ninio/” target=”_blank”]CHARLOTTE NINIO[/avatar]
Combo est à Tel-Aviv, oui, oui vous l’avez peut-être aussi croisé au détour d’une rue, une rose à la main, pour vous convaincre de revenir en France.
Moi je l’ai rencontré corner Dizengoff/Nordau, il m’a déclaré « Loin des yeux, loin du cœur ». Je n’ai pas résisté ! J’ai voulu en savoir plus ! A l’occasion d’une interview, Combo donne sa vision du Street art, art engagé, subversif, transgressif. A son image.
Rootsisrael : D’où viens-tu ?
Combo : J’ai grandi à Amiens en France, j’ai vécu à Nice, à Troyes, au Maroc et en Centrafrique. J’ai toujours voyagé, ça fait parti de moi.
Je suis issu d’un couple mixte. Ma mère est marocaine de confession musulmane, mon père libanais chrétien.
La religion n’est pas mon combat. En revanche cette double identité me permet d’avoir du recul, de prendre de la perspective sur les événements. Pour moi, c’est aussi un moyen de lutter contre les clichés et les amalgames.
Parle moi de ton parcours, de tes débuts ? Quand et comment as-tu commencé ?
J’ai commencé à 16 ans assez simplement en faisant des graffitis quand je vivais dans le sud de la France. A l’époque déjà, j’apposais mon nom, Combo, sur les murs.
Un graffiti c’est comme un chien qui pisse sur un mur, qui marque son territoire.
Quand tu es jeune le graffiti est un moyen d’exister, un moyen de s’affirmer face aux gens.
Quand tu grandis ce n’est plus suffisant.
Aujourd’hui, j’ai 28 ans. Au fil des années, mon style s’est précisé, mes goûts se sont affinés et le graffiti s’est transformé en Street art.
En grandissant, tu ne veux plus simplement dire que tu existes.
J’ai eu envie d’aller plus loin et de faire passer un message. Casser les amalgames pour prendre du recul sur l’actualité, telle est ma démarche personnelle, mon cheval de bataille.
Du coup, comment appréhendes-tu le caractère éphémère du Street art ?
Je prends un droit que je n’ai pas. J’impose mon art sur la voie publique à des gens qui n’ont rien demandé. La rue est un terrain de jeu incroyable ! Elle met mon art à la portée de tous. Quand je graff je sais que c’est illégal, je me soumets ainsi à la possibilité que tout soit effacé rapidement.
Pour pallier à ce caractère éphémère, j’archive et je communique via les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Twitter… Le relais ne se fait pas dans la rue.
Quels sont les adjectifs qui qualifient le mieux ton art ?
Pop/Engagé/Street
D’où viennent tes influences artistiques, ton inspiration ?
Mes influences sont diverses et ne sont pas réduites à des artistes. J’aime m’inspirer de moments, de phrases, d’idéaux, de personnalités engagées.
Ai Weiwei, artiste contemporain chinois, aussi connu pour son engagement politique contre le gouvernement, m’inspire quotidiennement dans mon travail. Il a fait plusieurs mois de prison en 2011 et a déclaré : « Je ne me vois pas comme un artiste dissident, mais au contraire je considère le gouvernement chinois comme un gouvernement dissident ». Cet engagement me parle. C’est une source d’inspiration.
Ton art revêt-il toujours un caractère politique ?
Le Street art est un acte politique peu importe le caractère du message. Descendre dans la rue pour prendre le pouvoir en y apposant des messages : c’est de la politique pure.
Pour manifester en France, tu as besoin d’une autorisation. Les Street artistes ne demandent l’autorisation de personnes. L’acte est politique parce qu’illégal.
Moi je veux aller jusqu’au bout du raisonnement, si l’acte est politique en soit, je veux en plus qu’il soit engagé. Je veux pousser le spectateur à réfléchir, à se questionner.
Les attentats de janvier 2015 ont-ils pour toi constitué un tournant décisif dans ta prise de position artistique ?
J’ai toujours pris position en tant que citoyen français pour défendre les droits des minorités.
Je soutiens le combat des féministes, plus particulièrement le mouvement des Femen avec qui j’ai eu l’occasion de travailler.
Je me suis aussi engagé dans la lutte pour le mariage pour tous. Jusqu’à présent je m’étais investi, certes, mais pour des causes qui ne me concernaient pas.
Charlie Hebdo a en effet changé la donne. Après les attentats terroristes, et j’insiste sur le terme terroriste et non islamiste, j’ai senti qu’il fallait que je prenne la parole.
J’ai voulu faire parler Mohammed, mon alter ego en Djellaba. Je me suis mis en scène à travers lui. Le combat de Mohammed, malgré son look plutôt tradi, est de lutter contre les clichés et les amalgames.
« En France, Nous avons 50 000 soldats musulmans qui protègent notre pays »
Parle moi de CoeXisT ?
Tout a commencé lors d’un voyage à Beyrouth en octobre dernier. J’ai entrepris un voyage au Liban pour casser les clichés autour du Djihad. On m’a accusé de partir faire le Djihad, je suis parti faire le « Djih-Art ».
Je me suis revêtu d’une Djellaba et fait pousser la barbe. Une manière de casser les codes en utilisant les mêmes outils de propagande que les extrémistes.
Puis il y a eu Charlie Hebdo. J’ai alors commencé un travail en collant des affiches avec ce terme : CoeXisT. Je me suis rapidement rendu compte de l’incidence que ce mot – entrecoupé des symboles religieux des trois cultes monothéistes – pouvait avoir.
La représentation des symboles religieux est problématique en France. Il y a une peur, un silence gênant. Je me suis mis à les afficher partout, c’est à ce moment là que je me suis fait agresser.
Après cet incident j’ai voulu continuer. Je me suis fait aider par Michel et Moshé. Deux amis, l’un catholique et l’autre juif. Ce que nous faisions ne pouvait pas avoir plus de sens.
« You can be a jew and against the politic of Israel » (traduction : tu peux être juif et contre la politique d’Israël), peux-tu m’expliquer cette phrase ?
Etre juif ne signifie pas forcément être sioniste. Etre juif et sioniste ne signifie pas non plus être israélien. Et si nous allons encore plus loin, on peut être juif, sioniste et israélien et contre la politique du gouvernement d’Israël.
En Israël comme dans les autres pays, il y a un parti de droite, un parti de gauche. Une partie de la population israélienne se bat contre la politique ultra-droite du gouvernement.
Je veux juste qu’on prenne conscience de la différence qu’il y a entre le fait d’être de confession juive et le fait de soutenir la politique de l’état d’Israël.
Penses-tu que les médias jouent un rôle concernant la confusion Juifs/Israël ?
Les médias n’ont de cesse que de stigmatiser le conflit au Moyen-Orient.
Cette amplification est dangereuse car elle crée au sein de la population française une scission entre les communautés.
« Pour vivre hébreux vivons cacher » ? C’est ce que tu penses ?
C’est une question qui se pose, mais je n’y apporte aucune réponse. Je veux juste souligner qu’il y a un réel malaise.
Poser cette question permet aux gens de dialoguer, de libérer la parole. Il n’y a pas de solution sans dialogue.
Que veux-tu transmettre par ces messages ?
Je souhaite que les gens discutent, échangent, partagent. J’aspire à plus de compréhension entre les communautés et au rapprochement de celles-ci.
Et surtout je veux rappeler notre point commun : nous sommes français.
Dans mon art j’essaye avant tout de ne pas être excluant. Je veux rire avec les gens mais je ne veux pas les blesser. Je ne veux pas rire à leur encontre.
Est-ce une manière de prendre de la distance avec l’humour de Charlie Hebdo ?
Charlie Hebdo a une démarche différente de la mienne. Ceci dit, je la respecte et la trouve très importante.
Quelles sont les raisons de ta venue en Israël ? A travers ton compte Facebook j’ai cru comprendre que tu venais pour un amour perdu ?
Au départ je suis venu dans le cadre d’un projet artistique. Celui de déclarer l’amour de Mohammed à son ami Moshé. En ce sens il s’agit bien d’un voyage pour un amour perdu.
Moshé a décidé de partir vivre en Israël, il a fait son Alyah. Et moi je suis Mohammed, son pote de toujours, resté en France et à qui il manque.
Je viens donc à Tel-Aviv pour lui rendre visite mais surtout pour le convaincre de revenir en France.
Parce que oui, la France n’est plus la même sans lui.
Je pense qu’il faut prendre ses responsabilités. Pourquoi laisser partir les gens qu’on aime. Mohammed s’adresse à tous les Français partis, il cherche à reconquérir le cœur de ceux que la France a perdu.
La démarche de Mohammed est de récupérer son pote, pour se faire il s’est rasé la barbe !
(Si Mohammed et Moshé sont des personnages fictifs, la déclaration d’amour de Mohammed à Moshé est inscrite partout sur les murs de Tel-Aviv. Notamment corner Nordau Dizengoff.)
Qu’as-tu pensé d’Israël ? De Tel-Aviv ?
Mon voyage s’est très bien passé, sauf la douane qui n’a pas apprécié mon visa libanais (rires).
J’ai apprécié l’ambiance « à la cool » de Tel-Aviv.
Je suis venu avec mes deux potes, Moshé et Michel.
Notre semaine tombait à pic puisque nous sommes arrivés la semaine de la fête nationale.
Nous sommes allés Kikar Rabin et nous avons continué les festivités du coté du souk. Danser avec des religieux en camion, musique électro à fond, une expérience improbable !
Michel, Artist-AtOme, est également un Street artiste, vous pouvez retrouver ce qu’il fait grâce au hashtag : #UNCRISOURD.
Bansky a fait un voyage en Israël pour dénoncer la politique israélienne en Cisjordanie et à Gaza, est-ce que vos démarches sont comparables ?
Je pense, en effet, qu’il y a des similitudes dans nos travaux. Nous sommes similaires dans la forme mais pas dans le contenu.
Je suis moins lâche que Bansky. Je ne considère pas que son travail réalisé en Israël soit pertinent.
Pire je le trouve excluant. Je ne vois pas le courage dans sa démarche. Bansky s’est rendu dans des territoires palestiniens non pas pour aider les populations locales, non pas pour fédérer les peuples, non pas pour instaurer un dialogue entre israéliens et palestiniens.
Il a était à Gaza et en Cisjordanie pour montrer aux palestiniens à quel point ils étaient mal traités par les israéliens, pour leur montrer a quel point leur vie était « merdique ». Je ne vois pas le mérite dans cette démarche à part l’accentuation des ressentiments entre les peuples.
A la fin de l’interview, une conversation s’engage entre nous, les rôles s’inversent, Combo pose les questions auxquelles je réponds. Il me demande ce que je fais en Israël, depuis quand j’y habite, si je compte y rester. Combo finit pas me dire : « bah qu’est ce que tu attends pour revenir en France ?!!!».
Déclaration d’amour illustrée dans les rues de Tel-Aviv
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