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Docteur j’ai l’impression que personne ne m’aime (part 1.)

Imaginez vous bien ma surprise lorsque je vis Israël débarquer dans mon cabinet, venu me conter sa vie. Armé de son Houtzpa légendaire et de son sourire charmeur, il vint m'annoncer qu'il était temps pour lui de commencer une thérapie.

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Imaginez vous bien ma surprise lorsque je vis Israël débarquer dans mon cabinet, venu me conter sa vie. Armé de son Houtzpa légendaire et de son sourire charmeur, il vint m’annoncer qu’il était temps pour lui de commencer une thérapie.


–  » Dites-moi tout. »

Je me demande bien ce que cela veut dire. Je la regarde fixement, sans vraiment comprendre ce qu’elle aimerait que je lui raconte.
Ce qu’elle aimerait entendre.
Lui a-t-on parlé de moi auparavant ? Je suis certain que oui. Elle s’est probablement déjà formé une opinion, sans chercher réellement à me connaître. Ils le font tous…

Que veux tu que je te dise Doc ? décidai-je de lui demander d’un ton un peu ferme.

– A vous de choisir ! me répond-elle avec ce genre de ‘formules de psys’ utilisées lorsqu’ils ne savent pas vraiment quoi dire. Ses réponses ne me satisfont pas. Elle reste silencieuse, n’exprime aucune opinion, toutes les questions que je lui pose me sont retournées.
Cela me rend nerveux.
Est-il si difficile de parler tahles1 ? Je sais que souvent les gens interprètent mon langage direct comme de la houtspa2, mais nul besoin de tourner continuellement autour du pot, d’une façon un peu hypocrite, caractéristique d’une certaine culture … (j’dis ça, j’dis rien).

Je reste confus.

Eh bien, je commencerai par le début. Mon père est mort bien avant ma naissance, dis-je à haute voix. Cette phrase évoque habituellement des réactions déchirantes concernant la relation sacrée entre un père et son fils. Je perçois un air de tristesse dans les yeux de la Doc, mais je ne suis pas sûr. Elle continue à me regarder sans dire un mot.
Quelle étrange attitude.

Il est mort, mais c’est grâce à lui que je suis devenu l’être que je suis aujourd’hui. J’essaie de suivre le chemin qu’il m’a tracé, guidé par les valeurs qui lui étaient si chères.  susurrai-je d’un ton quasi-dramatique, tentant de provoquer chez elle une quelconque réaction.
Toujours Rien.

Son nom était Théodore continuai-je. Dans la famille il se faisait appeler Ben. On raconte qu’il m’imaginait des années avant ma naissance. A vrai dire, on dit de lui qu’il était un rêveur, au point d’être naïf, tant ses idéaux étaient utopiques. C’était un justicier en quelque sorte. Il s’est battu pour mon existence, alors que tout le monde autour n’avait pas vraiment ressenti ni compris la nécessité de ma venue au monde.

– Pouvez-vous développer un peu? Cette impression de ne pas être désiré, comment l’expliquez vous ? me demande-t-elle d’un air attendri.
Tout le monde ne ressentait pas forcement que c’était la bonne chose à faire. Ma naissance allait être trop soudaine, imposée en quelque sorte. Même le lieu où je grandirai et passerai ma vie n’était pas clair, en Afrique ou au fin fond du monde, entouré ou non par mes cousins. Néanmoins, mon père continuait d’insister avec autant de détermination que de passion, voulant aller jusqu’au bout de son idée.
Il ne pensait pas que je devrais exister afin de faire disparaître les antisémites, mais tout simplement pour pouvoir leur dire d’aller se faire foutre…”

Un regard un peu étonné apparait sur le visage de la Doc. Peut être avais-je été trop grossier?
Je l’ignore.
Pourtant on est tenu de révéler ce que l’on ressent dans une thérapie, non? Bon bah…voila qui est fait.

– Et cette sensation de rejet que vous éprouviez, existe-t-elle toujours ? me questionne-t-elle.

Je réponds d’un ton affirmatif, afin de ne laisser aucune place au doute . « Je n’éprouve aucune sensation de rejet, je suis rejeté, mes cousins ne m’aiment pas, point final. Je reste coincé en travers de leur gorge, ils me cherchent et je fais pareil. Cela fait des années que nous nous battons inéluctablement, cherchant notre place dans ce monde. Chacun reste ancré dans ses positions. Ils s’imaginent avoir raison. Moi je sais que j’ai raison. »

Ses yeux se posent sur son calepin. Encore avec ce calepin, toujours ce maudit calepin! Qu’a-t-elle à écrire maintenant? Qu’aurais- je pu dire qui mériterait d’être relevé?
Toutes ces notes sont un peu préoccupantes … Dessinerait-elle lors de nos séances? Il est également possible que tout cela l’ennuie. Quoi qu’il en soit, ce récit m’a donné faim, car à trop parler, on oublie de manger.

Allez, je sors mon sandwich.


 

Yalla3, apprenons un peu l’Hébreu

1. « Tahles » – Concrètement.
2. « Houtspa » – Impolitesse, culot.
3. « Yalla » – Allez.

 

(1797)

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