[avatar user=”yaaahhh” size=”thumbnail” align=”left” link=”Mieux vaut s’adresser à Dieu, qu’ à ses dessins” target=”_blank”]YORAM SALAMON[/avatar]

J’ai 40 ans.

Je devais avoir 7 ans, peut être 8 quand j’ai vu pour la première fois la tronche de Cabu a la télé dans l’émission de Récré A2 animée par Dorothée. Le lendemain je disais à ma mère que je voulais devenir dessinateur.

Quand j’ai eu le premier Wolinski entre les mains, j’en avais 13 et je le lisais en cachette, parce que je n’étais pas certain que mes parents auraient apprécié que j’entame mon éducation sexuelle ainsi.

J’ai 17 ans quand je ramasse un numéro de la Grosse Bertha dans la chambre d’un de mes potes. Je fais connaissance avec Gebe, Charb, Sine, Val, Rollin, Font…je recroise Cabu, Wolinski.

J’en ai 19 quand une partie de l’équipe se barre pour reformer Charlie Hebdo que je découvre pour la première fois de ma vie.

C’est l’année au cours de laquelle je rentre en fac de droit. Dans ma fac, on arrive avec le Monde, le Figaro, Libé pour les plus contestataires…J’assume mes choix, j’assume Charlie Hebdo. Je cultive le côté provoc…ça ne me quittera plus. Je comprends en futur homme de com que la provoc, est l’un des meilleurs moyens pour porter un message. Je comprends aussi assez vite que je ne filerai pas Droit et je finis par le quitter quelques années plus tard.

Ma pensée se formait, j’avais compris Montesquieu, m’étais gavé de Rousseau, et m’allégeais chaque semaine avec Charlie. 

Je n’étais pas toujours d’accord avec tout, les dessins ou chroniques de certains provoquaient même de la colère en moi, mais Charlie m éduquait dans ma conviction que ce monde devait et pouvait changer.

En tant que juif j’étais naturellement obsédé par la capacité d’inhumanité de notre humanité. Sidéré de ce que l’homme était parfois capable de s’infliger, attiré par tous ses combats qui visaient à le libérer de sa propre oppression.

J’avais 19 ans, je rêvais de voir ce monde changer, et Charlie Hebdo m’abreuvait chaque semaine de nouveaux combats, forgeant ainsi ma conscience politique.

Charlie m’a donne la certitude que sans conscience, on n’était pas maître de son destin, que sans politique on n’était pas libre de son destin, et que sans conscience politique on ne faisait qu’avancer dans le conformisme d’un choix de vie résigné.

Les sentiments de révolte, de justice, d’équité ne m’ont jamais quitté toute ma vie durant, même si année après année, comme tous, je voyais le monde s’engouffrer dans la résignation, la folie…la fin.

Et puis, aujourd’hui, Mercredi 7 Janvier 2015, il s’est passé quelque chose…

Quelque chose d’extraordinaire…Je n’ai pas pleuré quand j’ai appris la nouvelle. Non…mon cœur s’est serré, mais je n’ai pas pleuré…pas à ce moment là.

Ca a commencé un peu après…comme un bruit sourd d’abord, puis en quelques heures telle une tempête, les réseaux sociaux, les médias, la rue, le peuple ont commencé à s’émouvoir, gronder, s’insurger, se révolter. 

Ce que des années de politique moribonde n’avaient pas réussi à faire, tout à coup, un attentat était en train de le provoquer, de réveiller la France, les français,  qui se pensaient jusque-là, en état d’anesthésie générale.
Le mot solidarité a repris un sens. Tout un peuple solidaire, s’est élevé d’une seule voix contre l’oppression, l’obscurantisme, la terreur…

Ces gars là ont passé leur vie à contre-courant. Ces gars là ont passé leur vie à se battre pacifiquement pour lutter contre la matrice. Aujourd’hui, leur jour de gloire est arrivé, et même s’ils ne sont plus là pour le voir, ni d’ici, ni de la haut, leur chute fatale a signé le combat de leur vie, leur combat du grand soir, l’ultime.

L’obscurantisme en voulant les faire taire, a provoqué l’effet inverse, en propageant leurs idées en l’espace de seulement quelques heures.

Leurs assassins ont voulu faire taire la France…ils l’ont enfin réveillée.
Leurs assassins ont voulu semer la discorde, ils nous ont rapprochés.
Leurs assassins n’ont pas eu le courage de mourir en martyrs.
Les dessinateurs de Charlie Hebdo l’ont fait pour eux…


Visuel signé par Mr Shmoo

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