D’abord, il y a le constat : en Israël, les gens se crient dessus pour se parler.
Partout. Tout le temps.
Au supermarché, dans le bus, dans les administrations, au café, dans la rue et même à la plage. Et encore, par souci de bon sens, on exclut de cette analyse le cri « AAAAARRRTTTIIIIIKKKKKK » de la plage et les hurlements en tout genre que le shouk a à offrir.
Il y a deux types de hurlements à l’israélienne.
Le cri stam
Celui de la vie de tous les jours, qui consiste à s’exclamer « BOKER TOOOOOOV » en entrant au supermarché comme par besoin vital de faire savoir à tous les gens qui y sont présents que nous aussi, on vient d’arriver.
Celui qui finalement est juste une manière de parler, un peu déroutante, qui parfois, lorsque tu es au téléphone dans le bus, peut conduire le chauffeur à t’enjoindre (en criant) d’aller au fond du véhicule car « il s’en fout de ta vie ».
Le cri chaud-patate
Celui scandé avec force et passion par quelqu’un qui semble vouloir t’arracher les yeux et te les faire avaler ensuite.
Pas de panique, car ce cri là marche c’est comme un vaccin.
La première fois que tu y seras confronté, tu te diras que tu as vraiment mais alors vraiment dû faire quelque chose de mal. La nuit qui suivra, tu ne te sentiras pas hyper dans ton assiette voire un peu nauséeux.
Mais rassure toi, car au matin, tu seras immunisé.
Tu auras compris qu’ici, on s’explose les amygdales pour un oui, pour un non. Simplement car tu auras mis plus de 0,5 seconde à démarrer une fois le feu devenu vert, ou par réflexe après que tu ai posé une question (quelle qu’elle soit) dans une administration (quelle qu’elle soit).
Très vite, face à ces situations, tu auras à ton tour la houtspa nécessaire pour devenir tout rouge, serrer tes petits poings d’olé qui n’a peur de rien et t’égosiller « arrête de crieeeeeeeer espèce de meshougaaaaaa je t’ai rien faaaaiitttt tu comprends rieeeeeeen ». Généralement cette étape sera suivie d’une cacophonie violente des deux parties, d’un grand éclat de rire et d’une méga étreinte inexplicable.
Elle est pas belle la vie ?
Bon, mais après le constat, vient la question : pourquoi??
Personnellement, je dois dire que je n’avais jamais ressenti le besoin de m’expliquer ce fait acquis. Je me contentais de l’explication de Jean-Jacques Goldman selon laquelle « nos filles sont brunes et on parle un peu fort », en me disant que forcément, un pays juif, par définition, ça doit faire du bruit.
Pour autant, l’évidence n’est pas là pour tout le monde. Aussi, après m’être entendue demander, une, deux puis trois fois « pourquoi en Israël les gens se crient-ils dessus pour se parler ? » je me suis dit qu’il était peut être temps d’essayer d’y répondre ensemble.
Voici donc ci-dessous la liste (non-exhaustive) des raisons pour lesquelles on est quand même sacrément bruyants.
Finalement celle-ci se décompose en deux types d’explications :
- L’explication matérielle
Je parlais de cette thématique avec une amie qui m’a avancé la théorie suivante:
« Bah réfléchis, le pays est si petit petit petit ! On se marche tous sur la gueule alors forcément au bout d’un moment ça rend fou. Et du coup on crie ».
Je ne suis pas sûre d’être complètement d’accord avec ce concept. Après tout, la taille du pays ne se ressent pas nécessairement dans le quotidien de chacun.
Mais, si on ajoute à la problématique géographique le critère climatique, là je suis conquise.
Car non seulement c’est un petit pays, mais en plus, c’est un petit pays où il fait chaud, très chaud.
Alors imaginez, chaque jour, devoir faire la queue ici ou là, pendant 3 heures, entouré par 50 personnes et sous 60 degrés sans mazgan, le visage un peu plus collant à chaque seconde, les mains un peu plus gluantes… Et bah forcément, une fois arrivé au guichet, le réflexe premier c’est le hurlement libérateur.
Et avec le temps, à force de files d’attentes ici et là, le cri est venu s’inscrire dans le génome israélien.
Conclusion numéro 1 : chaleur et superposition des âmes conduiraient à la fonte des nerfs et in fine au cri remplaçant la parole. Ca se soigne docteur?
- L’explication immatérielle
Ma prof d’oulpan dit toujours « Haim zé lo pique-nique ! » (traduction « La vie n’est pas un pique-nique ! »), et il faut dire qu’elle n’a pas tort.
Etudier, travailler, s’assumer, se marier, enfanter, transmettre, tout en essayant de donner un sens à son existence, à la vie, à la mort, à la guerre et à la paix, en effet, zé lo pique-nique.
Mais en plus, en Israël, toutes ces préoccupations (que tu appelais « désastres » du temps de ta vie européenne), vont maintenant devoir s’apprécier en fonction d’un mécanisme binaire assez simple : soit tu es en vie (et tu n’as pas de problème) – soit tu n’es pas en vie (et c’est un problème).
« Tu n’as pas de travail ? Bon, mais tu es en vie ? Alors souris, tu n’as pas de problème ! »
« Tu as raté des examens importants pour toi ? Bon, mais tu es en vie ? Alors souris, tu n’as pas de problème ! »
« Tu as le coeur brisé ? Bon, mais tu es en vie ? Alors souris, tu n’as pas de problème ! »
« Tu ne sais pas comment tu vas payer ton loyer ? Bon, mais tu es en vie ? Alors souris, tu n’as pas de problème ! »
Une fois que tu as compris la dynamique de ce 3615 Israeli State of Mind, tu apprends à kiffer les choses les plus simples de la vie, parce que tu es en vie, et à ne pas te soucier des merdes de ta vie qui ne remettent pas en question le fait que tu sois en vie, tu suis ?
Or, il se trouve que récemment, j’ai eu l’opportunité forcée de tester pour vous la perte de travail, le ratage d’examens, le coeur brisé et la question du loyer dans les mêmes 24 heures.
Et c’est là que ça devient intéressant !
Car bilan de l’expérience : en rentrant chez moi à la fin de cette journée (de merde), je me suis très sincèrement dit « Bon, mais tu es en vie? Alors souris, tu n’as pas de problème ! », mais surtout surtout, j’ai constaté que j’avais passé ma journée à gueuler, comme pour compenser.
Et là je me suis dit que j’étais vraiment devenue israélienne !
J’ai compris que le cri permanent à l’israélienne, c’était peut être aussi une manière de traverser la vie et ses faux problèmes.
Une manière de les extérioriser (ces faux problèmes) et de taper du pied pour dire que tant qu’on aura la vie, rien ne peut nous empêcher de continuer à avancer.
Un cri du cœur, à soi et au monde entier, pour dire qu’on est toujours là.
Un cri pour retrouver son chemin, pour garder espoir et peut être aussi un peu pour emmerder les envieux.
Alors, conclusion numéro 2 : en Israël, si les gens se crient dessus pour se parler, c’est pour couvrir les voix qui veulent nous faire taire.
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