Depuis des semaines, je fais des efforts surhumains.[pullquote]”La mission? Aider ma mère et la troupe d’assaut qui la suit partout, armée d’une quantité gargantuesque de nourriture ” [/pullquote]La mission? Aider ma mère et la troupe d’assaut qui la suit partout, armée d’une quantité gargantuesque de nourriture, équivalente à celle de la FAO des Nations Unies. Leur nom? La FAO Israélite (Family Appetite Organization). Leur but? La préparation des dîners de famille, shabbatot ve haguime1.
Cette fois-ci, la FAO s’est rassemblée afin d’organiser l’allumage de la première bougie de Hanoucca et le diner qui suit. Pendant cette étonnamment courte période, je passe en mode “full gaz in neutral “ épuisé par le temps instable, et les taches qui s’accumulent à l’infini… J’essaye néanmoins de profiter des derniers jours de soleil, des odeurs du vent d’automne, de la légère brise qui… Bon je m’égare!
Quand j’ai appelé la Doc, elle a essayé de comprendre si l’annulation du rendez-vous était une forme de résistance au traitement psychologique- une sorte d’excuse standard utilisée par les psys lorsque vous vous opposez à leurs théories, êtes en retard ou encore annulez un rendez vous. Je lui ai expliqué que nous étions au début de la fête de Hanoucca (qui dure huit jours, je précise!), et que cela m’engageait bon gré mal gré à participer aux préparations multiples que cette fête nécessite. Sans oublier le Service Clients Téléphonique auquel j’ai été désigné, qui m’obligeait à converser cordialement avec des membres de la famille que j’ai pris grand soin d’ignorer tout au long de l’année.
J’espérais vraiment qu’elle me prendrait au sérieux et j’ai été surpris, la Doc ayant eu l’air très compréhensive et empathique. Selon elle, les fêtes, qui devraient supposément nous rendre joyeux, sont souvent une source de stress, d’anxiété et même de dépression. C’est un phénomène qui, dans le jargon médical, s’appelle “le blues des fêtes” ou autre terme psychologico-médical dont j’ai du mal à saisir la portée. “Ce genre de dîner, m’explique-t-elle, réserve souvent bien des surprises. C’est typiquement dans ce cadre là que resurgissent les secrets bien enfouis, les rivalités, et les conflits habituellement dus à un manque de compréhension des codes de conduite au sein de la famille.” Elle m’a dit que je pouvais l’appeler après le repas si jamais j’en ressentais le besoin. Je l’ai remerciée chaleureusement en lui promettant de l’appeler dans une semaine et demie, afin de fixer une nouvelle date pour notre prochain rendez-vous.
La vérité est tout simplement que je n’ai plus une seconde à moi.
En règle générale, trois semaines avant les fêtes (peu importe lesquelles) ma mère m’appelle pour me poser la sempiternelle et épineuse question: “Où passes-tu les fêtes cette année?”
Pourquoi le terme «épineux» vous demandez-vous? Je vous explique ça de suite.
Ces questions, d’apparence innocentes et candides, sont en fait les prémices d’un long quiproquo, dont le résultat est d’ailleurs connu par avance. Car, Mesdames et Messieurs les lecteurs, il existe un mécanisme bien particulier, transmis de générations en générations, dans le cadre de l’enseignement de la tradition et du patrimoine juif. Celui-ci vous assure sans même l’ombre d’un doute, que quelle que soit votre réponse, vous aurez tort. Etonnant n’est ce pas?
Mais je m’égare…
Revenons à notre «épineuse» question, et étudions un peu les possibilités qui s’offrent à nous:
1er scénario: Vous dites à votre mère que vous aller passez les fêtes chez votre belle-maman, «la marâtre» comme elle aime l’appeler. Mère très chère sera systématiquement offensée, car vous y étiez déjà pour le Séder de Rosh Hashana (“Je ne comprends pas!! Ses plats ont-ils meilleur goût que les miens?! Même si tu jetais des épices en plein figure de cette Ashkénaze, elle ne saurait pas quoi en faire!!”).
2ème scénario: Vous décidez de passer les fêtes chez votre mère. La belle-doche chuchotera alors à haute voix “Chaque année pendant les fêtes, je me sens orpheline de mes propres enfants.”
Elle soupirera lourdement en vous rappelant, au cas où vous l’auriez oublié, que la solitude pendant les fêtes est devenue insupportable depuis le décès de son grand-père.
Nul besoin de lui rappeler qu’elle n’avait à l’époque que trois ans…
– ” Ce n’est pas bien que les petits-enfants ne voient pas leur grand-mère et grand-père.”
– ” Tu les a vus au dîner de Shabbat, il y a deux jours.”
– ” Ce n’est pas pareil!”
– ” Comment ça ce n’est pas pareil?”
– ” Comment peux-tu comparer la mamie des vendredis et la mamie de fêtes?!! Les plats et les bonbons sont complètement différents!”
Ainsi, chaque année, le lendemain de la fin des fêtes de Tishrei, la SDF (Séance de Droits des Fêtes) se rassemble (alias la matriarchie familiale) pour traiter la question existentielle: Qui a invité qui pour le diner de Hanoucca et où chacun passera la soirée?
Oncle Charlie a déclaré fermement et avec un ton un peu menaçant que cette année on passerait tous la soirée chez sa fille, point final, et que la décision était sans appel (car prise par sa femme). Ma cousine Dickla, la fille d’oncle Jacob, est en vacances semestrielles à Paris où elle étudie, car il est clair que le niveau des universités ici ne peut être comparé à celui de Paris 5 (et 7, et 13 .. et autres numéros impairs). Elle a dit qu’elle avait déjà été invitée par son cousin David, qui est marié à une avocate à qui personne ne peut dire non. Cependant, celle-ci ne parle plus au frère de tante Céline, car il ne l’a pas invitée au mariage de sa fille Ashley, qui a eu lieu il y a six ans dans un ashram en Inde.En ce qui concerne tata Valentine (qui n’est pas vraiment une tante), elle viendra avec son fils Frank et son nouveau jouet: mari numéro 6. Rien de spécial à ce niveau là.
Quant à Dan, il a dit qu’il viendrait seul mais accompagné de sa fameuse spécialité culinaire dont lui seul a le secret… Il serait temps de lui expliquer que tout poisson cru ne peut passer pour du Carpaccio!!!
Sinon, mon arrière cousin Michaël m’a avoué qu’il aurait bien voulu être parmi nous lors du dîner, mais il pense que les parents de Yaël ont déjà prévu quelque chose. Il aurait pu proposer à sa femme de ne pas passer t-o-u-s les jours de fête chez eux, mais il n’a pas envie de dormir sur le canapé pendant les deux prochaines semaines.
Pour ce qu’il est de la petite cousine du côté de la mère de mon beau-frère, celle-ci nous à laissé entendre qu’elle voulait passer la fête chez nous. Apparemment elle ne supporte plus le Géfilté-Fish de sa grand-mère (servi à chaque occasion qui se présente), et puis de toute façon, le Couscous de mémé Esther lui manque trop…
MERDE! Mémé Esther.
Il a finalement été décidé que l’allumage de bougies et le dîner de Hanoucca se feraient chez Déborah, car seule sa maison était assez grande pour accueillir autant de monde.
Le calme a repris sa place durant une semaine entière, jusqu’au moment où il s’est avéré que personne n’avait la moindre idée de qui était Déborah… il a donc ete decide que la soiree aurait lieu chez moi. “Ne t’inquiète pas mon chouchou” a dit ma mère. Chacun apportera un plat, tu n’auras qu’à te charger des chaises.” Ce à quoi j’ai répondu que si elle amenait le rôti sec et dur de l’année dernière, j’aurais une chaise en moins à devoir fournir.
Depuis, elle ne m’adresse plus la parole…
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