Oui, Tsahal m’a changé, je suis devenu israélien

Quelque chose a changé. Il faut bien l’admettre.

L’autre jour j’étais à l’aéroport de Tel Aviv. Depuis le bus qui me mène jusqu’à la passerelle de l’appareil je vois plusieurs avions défiler devant moi, tous frappés d’une immense étoile bleue. Je n’arrive pas à les quitter du regard. Dans ma tête des mots et des souvenirs me reviennent.

Un visage. Celui d’une femme cachée en France pendant la guerre et qui me racontait l’an passé comment le fait d’avoir vu une étoile bleue s’envoler dans le ciel lui avait fait oublier la honte de l’étoile jaune de son enfance et lui avait permis de retrouver la fierté d’être juive.

Un frisson me parcours en pensant à elle. Autour de moi dans le bus c’est le désordre habituel des départs en vacances. Des enfants crient. Une femme tient le bébé de la dame d’à côté qui n’arrivait pas à s’occuper de tous ses enfants et des valises en même temps. Un couple de personnes âgées se tient la main pour ne pas tomber. Face à moi un visage m’interpèle. Je ne l’ai jamais vu et pourtant j’ai l’impression de le connaître. Il porte un t-shirt qu’il a eu à la fin de ses classes à l’armée et un sac de camping sur son dos. Ses cheveux sont encore courts. Ses traces de bronzage trahissent la présence d’un uniforme qu’il a cessé de porter il y a probablement quelques jours à peine.

Des jeunes comme lui j’en ai vu des centaines pendant mon service. Des hauteurs du Golan aux confins du Néguev, en passant par la lisière de la bande de Gaza et les collines de Cisjordanie, j’ai parcouru le pays en uniforme.

On dit que l’armée change les hommes et les femmes. C’est vrai. Chez moi aussi quelque chose a changé.

Non je ne suis pas devenu un militariste avide de guerres, de combats, admirateur de bombes lancées par des avions contre des cibles terroristes. Qui pourrait le devenir, d’ailleurs ?

Mais quelque chose a changé, c’est indéniable.

Mes souvenirs du service militaire ont tous un point commun : le sentiment qu’on est tous dans la même galère, dans le meme bateau.

Place Rabin à Tel Aviv un jour de printemps. La personne assise à côté de moi aborde la conversation. La quarantaine, il tient sa fille sur ses genoux et m’explique qu’il est lieutenant-colonel de réserve de Tsahal. En apprenant que je suis soldat et à la recherche d’un petit boulot, il sort son téléphone de sa poche et appelle immédiatement son beau-frère gérant d’un restaurant pour lui demander de m’embaucher.

Une nuit d’hiver glaciale dans une base militaire de Cisjordanie. La soldate a côté de moi s’est endormie. Une autre soldate, qui ne l’a jamais rencontrée, s’approche pour la couvrir avec un sac de couchage.

A l’aube au mois d’avril, à la sortie d’un exercice de l’artillerie dans le Golan. Le soldat qui conduit notre voiture a laissé les clé à l’intérieur, la porte est vérouillée. Un lieutenant qui passe par là décide de laisser ses propres soldats sans surveillance pour venir nous venir en aide.

Novembre 2012, les sirènes hurlent à Tel Aviv. Un missile du Hamas approche de la ville. J’ai peur. J’ai envie de fuir et de me mettre à l’abris. Je réalise subitement que je suis en uniforme et que mes voisins me regardent prêts à suivre mes consignes.

Oui, l’armée m’a changé. Elle m’a fait prendre conscience que quelque chose me lie au reste de la population. Même à ceux que je n’aime pas. 

Une chanson de la guerre d’Indépendance dit “nous venons tous deux du même village”. Il y a longtemps qu’Israël n’est plus un village. Mais nous sommes toujours tous embarqués dans la même galère, dans le même bateau. Et c’est l’armée qui m’a fait monter à bord.

Oui, quelque chose a changé.

Je suis devenu israélien.

 

 

 

 

 

 

Bonus:

Tekess Ashbaa

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