Leni Riefenstahl, filmer Hitler sans le servir ? Leni Riefenstahl, filmer Hitler sans le servir ?

Leni Riefenstahl, filmer Hitler sans le servir ?

Réalisatrice pionnière, Leni Riefenstahl a révolutionné la manière de filmer, tout en gravant dans la pellicule l’image d’une Allemagne idéalisée, façonnée par Hitler. Était-elle une artiste aveuglée par son obsession pour la beauté ou une femme pleinement consciente du rôle qu’elle jouait dans l’Histoire ?
Leni Riefenstahl, filmer Hitler sans le servir ?

 

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Si l’histoire du XXe siècle avait une grammaire visuelle, Leni Riefenstahl en aurait écrit une grande partie. Son œuvre cinématographique est à la fois un jalon incontournable de l’esthétique moderne et un outil de propagande du régime nazi. Réalisatrice pionnière, elle révolutionne la manière de filmer, tout en gravant dans la pellicule l’image d’une Allemagne idéalisée, façonnée par Hitler. Était-elle une artiste aveuglée par son obsession pour la beauté ou une femme pleinement consciente du rôle qu’elle jouait dans l’Histoire ?

Née en 1902 à Berlin, elle débute comme danseuse avant de se tourner vers le cinéma. En 1926, elle se fait remarquer dans La Montagne Sacrée d’Arnold Fanck, qui popularise le cinéma de montagne. Fascinée par le pouvoir des images, elle se tourne vers la réalisation en 1932 avec La Lumière Bleue, un film dont elle garde un contrôle total, créant sa propre société de production. Ce besoin d’indépendance artistique sera une constante dans sa carrière.

En 1932, alors qu’elle est en tournée promotionnelle, elle assiste à un meeting d’Adolf Hitler au Sportpalast de Berlin. Ce jour-là, elle est, selon ses propres mots, « sonnée, paralysée ». Elle écrit au futur chancelier une lettre où elle lui exprime son admiration. Leur rencontre a lieu en mai 1932 sur une plage, où Hitler, fasciné par son talent, lui propose de mettre ses compétences au service du parti. Riefenstahl prétend avoir décliné toute offre politique. Pourtant, en 1934, elle accepte la réalisation d’un film documentant le congrès du parti nazi à Nuremberg.

Le résultat est Le Triomphe de la Volonté (1935), un film à la mise en scène soignée, où la figure d’Hitler est sublimée à travers des angles soigneusement étudiés. Riefenstahl filme un chef charismatique dominant une foule en transe, effaçant toute individualité derrière la puissance d’une nation unie. « Je voulais juste capturer l’événement tel qu’il était », dira-t-elle après-guerre. Mais ce n’est pas un documentaire neutre : chaque cadrage, chaque mouvement de caméra vise à glorifier le pouvoir absolu.

Son film suivant, Olympia (1938), va plus loin dans l’exploration de l’esthétique du corps. Filmant les Jeux Olympiques de Berlin, elle immortalise les athlètes avec une précision et un sens du rythme révolutionnaires. Elle met en place des techniques inédites, comme des caméras mobiles montées sur rails ou immergées dans les bassins de natation. Mais ce qui frappe, c’est sa fascination pour la perfection physique, une obsession qui rappelle les idéaux eugénistes du régime.

L’élément le plus ironique du film est l’apparition de Jesse Owens, athlète afro-américain qui remporte quatre médailles d’or, réduisant à néant le mythe de la suprématie aryenne. Owens racontera plus tard que Hitler a refusé de lui serrer la main. Riefenstahl, elle, insiste sur le fait qu’elle a voulu « montrer le sport dans toute sa splendeur, sans idéologie ».

Après-guerre, elle est arrêtée et interrogée, mais elle parvient à éviter les condamnations sévères. Elle n’a jamais été membre du parti nazi, ce qui lui permet d’échapper aux pires sanctions. Pourtant, des témoignages la situent dans des camps de transit où elle aurait sélectionné des figurants roms pour son film Tifland. Beaucoup d’entre eux seront plus tard déportés à Auschwitz. Riefenstahl prétendra n’avoir jamais su ce qui leur était arrivé.

Jusqu’à sa mort en 2003, elle maintiendra sa ligne de défense : elle n’a fait que filmer l’histoire, sans jamais adhérer au nazisme. Mais peut-on être un témoin aussi privilégié sans être complice ? Son œuvre est une leçon troublante sur le pouvoir des images, et sur la responsabilité de ceux qui les créent.

 

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