Le sujet épineux du jour s’appelle « mariage civil », autrement dit le grand absent de la loi israélienne : en Israël, en effet, le mariage civil n’existe pas.

Le sujet est épineux car la situation actuelle convient à beaucoup d’israéliens, et ne convient pas du tout à beaucoup d’autres en même temps. C’est en général la configuration parfaite pour que les choses ne bougent pas ni dans un sens ni dans l’autre, ce qui est bien le cas en ce qui concerne ce sujet.

En Israël, seuls les mariages religieux peuvent être célébrés et reconnus par l’Etat; cela signifie que les Juifs ne peuvent se marier qu’entre eux, ainsi que les Musulmans et les Chrétiens (et les autres). Le mariage doit être célébré par un représentant de la religion qui soit reconnu par l’état, donc seulement un Rabbin Orthodoxe pour les Juifs, un Imam pour les Musulmans etc. etc. : deux Juifs se mariant sous une houppa mais avec un Rabbin non-orthodoxe ne verront pas leur union reconnue officiellement.

Cette situation laisse toute une série de couples dépourvus de la possibilité de se marier; pour eux, la seule solution est d’aller célébrer un mariage civil a l’étranger (dans la plupart des cas, cela se fait à Chypres) car la loi Israélienne reconnait quand même les unions civiles célébrées dans un autre pays:

  1. Les couples mixtes – un Juif et une Chrétienne, ou toute autre combinaison de ce type
  2. Les couples où la judaïcité d’un des deux époux n’est pas reconnue par le Rabbinat Orthodoxe Israélien – c’est le cas par exemple de beaucoup d’israéliens issus eux-mêmes de mariage mixte (la mère n’étant pas juive), ou des Olim (immigrants) ayant un grand-parent juif mais n’étant pas juifs eux-mêmes (ils peuvent faire leur Alya en Israël selon la Loi du Retour, mais ils ne peuvent pas se marier), ou encore des Olim venant de Russie ou d’Ethiopie sans un document attestant leur Judaïcité (normalement, c’est la Ketouba – le contrat de mariage religieux – de ses parents qui constitue cette preuve).
  3. Les couples laïcs (pas nécessairement mixtes) ne souhaitant pas un mariage religieux – car cela ne représente pas leur croyance ni leur style de vie
  4. Les couples « clairvoyants » – ceux qui savent qu’en cas de divorce, ce serait à la loi religieuse qu’ils devraient se soumettre (ce qui est très problématique pour les femmes notamment, comme nous l’avons vu dans un autre article publié sur Rootsisrael) et qui ne le souhaitent pas
  5. Les couples homosexuels – deux hommes ou deux femmes souhaitant officialiser leur union et créer une famille reconnue par l’état

 

Ceux qui sont en faveur de la situation actuelle argumentent normalement qu’Israël étant un état « juif », il est tout à fait normal (et juste) que ce soit le mariage juif le seul à être célébré; pour ceux à qui cela ne convient pas, la route vers l’aéroport Ben Gurion est déjà prête. Cet argument pourrait tenir debout (à la limite) si par état « juif » on entendait un état qui est géré par les lois de la Halakha, ce qui n’est évidemment pas le cas; sinon, non seulement devraient tous les Israéliens se marier religieusement, mais aussi arrêter de conduire pendant Chabat, fermer tout restaurant non-Cacher, s’abstenir de tout rapport sexuel avant le mariage, etc. etc. La liste des lois qui devraient être appliquées pour qu’Israël soit un état « juif » tel que ces défenseurs du mariage religieux l’entendent serait très longue, et surtout très anti-démocratique. Ce qui est, en réalité, le point central: Israël est un état « juif » au sens où il est l’état-nation du Peuple Juif; pas au sens où la loi que l’on suit est la loi juive. En effet, Israël est une démocratie et en tant que telle, libre à chacun de choisir comment vivre sa vie et ses croyances, ou du moins c’est ainsi que ça devrait être. Hélas, pour certaines questions (comme justement le mariage), cela n’est pas le cas et le libre choix de chacun est piétiné par l’imposition d’une cérémonie religieuse qui ne convient pas à de plus en plus de monde.

 

Y a-t-il des solutions autres que le mariage civil? Pas vraiment. Certes, il y a la possibilité (déjà mentionnée) d’aller se marier à l’étranger, et l’union sera reconnue légalement par Israël comme un mariage religieux célébré sur son sol. Il y a aussi le statut de Yadoua Bazibour (« connu en publique »), un statut officiellement reconnaissant certains droits et certains devoirs (mais pas les mêmes qu’un mariage) à un couple cohabitant et s’engageant à partager leur destin. Mais pour l’instant, ça s’arrête là.

Plusieurs propositions de loi ont été faites à la Knesset pour que le status quo change et que le mariage civil soit introduit en Israël; à ce jour, elles ont toutes échoué.

 

Il est vrai, on a du mal à ne pas s’émouvoir devant un couple s’engageant à construire une maison juive en Israël sous une houppa se dressant contre le ciel bleu de notre Terre : les difficultés traversées par les Juifs pendant deux mil ans pour en arriver à avoir ce privilège aujourd’hui sont gravées dans la mémoire collective de tout notre peuple. Il est vrai aussi que si le Peuple d’Israël a survécu pendant deux millénaires de Diaspora, c’est aussi parce que la plupart des mariages de ses membres ont eu lieu sous une houppa se dressant contre un ciel étranger, la cérémonie se terminant par le vœu bimillénaire de ne pas oublier Jérusalem. Et il est vrai qu’aujourd’hui, presque miraculeusement, עוד ישמע בערי יהודה ובחוצות ירושלים: קול ששון וקול שמחה, קול חתן וקול כלה: on peut vraiment entendre dans les villes de Yéhouda et dans les places de Jérusalem, la voix du plaisir et la voix de la joie, la voix du marié et la voix de la mariée – ceci étant probablement un des versets les plus émouvants et significatifs de la tradition Juive. Tout ça est vrai, et c’est avec gratitude à la vie que les Juifs aujourd’hui devraient pouvoir choisir de célébrer leur union כדת משה וישראל – selon la loi de Moise en Israël; cependant, le problème est bien le même pour eux aussi : ce n’est pas un choix, c’est une imposition. Et cela est bien dommage.

 

Au final, Israël ne pourra pas ignorer les grandissantes demandes de changement; Israël ne pourra pas non plus garder trop longtemps un status quo dépassé depuis des décennies un peu partout dans le monde démocratique. En fin de comptes, Israël comprendra qu’il faut faire confiance à ses citoyens et leur donner un choix: le choix de garder leurs traditions et leur identité, sans être obligés à le faire.

Et très certainement, on entendra encore dans l’Etat d’Israël, dans quelques millénaires, la voix du plaisir et la voix de la joie, la voix du marié et la voix de la mariée. 

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