[avatar user= »Julien-Bahloul » size= »thumbnail » align= »left »]Julien Bahloul[/avatar]

Ils m’ont eu. Je suis épuisé. Et je me sens coupable d’être fatigué. Je ne suis pas dans la bande de Gaza en train de risquer ma vie face à des terroristes qui utilisent des enfants en guise de boucliers humains. Je ne suis pas un Palestinien qui a perdu sa maison et ses enfants. Je ne suis même pas blessé. Et pourtant, je suis à bout.  Je sais que je ne devrais pas, que je devrais relativiser. D’ailleurs les amis en France ne cessent de me le dire : « c’est la guerre hein, là-bas c’est pire ». Je devrais avoir honte d’être fatigué. Honte d’en avoir marre. Penser à mes amis dans la bande de Gaza qui risquent leurs vies pour que je puisse un jour reprendre mon quotidien. Je devrais penser aux civils palestiniens qui n’ont rien demandé à personne et qui sont morts de manière injuste.

Depuis près de 22 jours mon coeur bat pour mes amis au front. Je tremble en lisant la liste des morts de peur d’y voir le nom d’un proche. J’ai mal en voyant les images de Gaza. J’ai les larmes aux yeux en entrant dans les maisons du sud d’Israël détruites par les missiles du Hamas.  Et pourtant. Ce soir, pour la première fois depuis 3 semaines, c’est à moi que je pense. Désolé. J’ai honte, mais c’est la vérité.

Vendredi soir. Banlieue de Tel Aviv. J’ai attendu ce moment toute la semaine. Je passe le plus clair de mon temps à la frontière de la bande de Gaza, dans les hôpitaux pour rendre visite aux amis blessés et dans des enterrements par solidarité avec les familles des tués. Alors ce vendredi soir, ce repas de shabbat, cet instant de bonheur volé, j’en ai rêvé toute la semaine. On s’assoit, on commence à manger. La sirène retentit. A nouveau. Tout se passe très vite.

Chaque action est millimétrée. Chacun connait son rôle. Je prends dans mes bras une enfant de 4 ans. Un autre prend sa soeur. On descend en courant vers le sous-sol de l’immeuble. Et on attend. On attend l’explosion. Les murs vibrent et trois explosions sourdes se font entendre. On remonte les escaliers calmement. On souhaite « shabbat shalom » aux voisins et on repasse à table. L’air de rien. Mais chez moi ça ne passe pas. Je ne peux plus rien avaler. Je n’entends que les infos à télé allumée à plein volume. Les annonces de sirène dans les différentes régions. Les cris des enfants. J’ai mal à la tête.

Dans mon esprit se succèdent les images de la semaine. Les courses aux abris. Les soldats blessés. Les enterrements. Les enfants en sang dans les bras de leurs parents à Gaza.

Autour de la table chacun lance sa propre analyse géo-politique de la guerre. C’est fou le nombre de spécialistes du Proche-Orient qui sont apparus ce mois-ci sur Facebook.

Sur le chemin du retour dans la voiture. La radio est allumée et joue la chanson « Where do you go to my lovely » issue du film « A bord du Darjeeling Limited ». J’entends des noms de rues de Paris, des mots en français. Je me revois dans une salle de cinéma de Provence découvrant ce film un soir de juin 2008. Tout était si paisible, si simple là-bas. La Provence…elle me semble si lointaine aujourd’hui.

Dans quelle galère suis-je venu me mettre ? J’ai toujours été convaincu qu’en tant que juif notre place était en Israël. Mais comment expliquer à la mère de Jordan, soldat français de Tsahal de 22 ans que l’on a enterré cette semaine, que son fils était plus en sécurité en Israël que chez lui au chaud en France ?

Shabbat se termine. Je me prépare à retourner travailler à la frontière de Gaza. Le Hamas a une nouvelle fois refusé le cessez-le-feu. 

Mon sens du devoir reprend le dessus. La guerre n’est pas terminée. Les roquettes continuent de nous tomber dessus. Mes amis sont toujours là-bas. Plus le temps de me lamenter. Je prends mon sac et je reprends la route : la maison est encore en danger.

(182)