Rarement un mot n’aura été le sujet de tant de débat et d’une telle évolution… encore aujourd’hui.
Alors sur le chemin, posons nos valises un instant et regardons le chemin parcouru par ces huit lettres: S I O N I S M E…Le sionisme avant le « sionisme ».
Si le terme « sionisme » a été inventé par Nathan Birnbaum en 1890, bien avant l’invention de ce mot d’autres ont théorisé et mis en pratique le mouvement national juif. Il ne s’agit pas, ici, de faire l’histoire du sionisme, je m’attacherai uniquement à parler du mot et du sens de « sionisme ». Si dès le 18ème siècle le Gaon de Vilna recommandait à ses étudiants de partir vivre en Eretz Israel, je vous invite à vous renseigner surtout sur quelques personnages qui ont influencé plus profondément encore le sionisme tel que le Rav Kalisher, Yehuda hay Halkalay ou Leon Pinsker. Leurs visions et leurs influences seront déterminantes dans ce qui se réclameront par la suite du sionisme, que ce soit dans une vision religieuse, sociale, culturelle ou politique. Il est donc important de rappeler que le sionisme fut un mouvement long, avec une histoire complexe, tortueuse, et c’est cette histoire qui se retrouve dans l’évolution du terme « sionisme » et ceux qui s’y apparentent, tel qu’antisionisme et post-sionisme.
Le sionisme, un terme recouvrant des formes très variées.
Lorsque l’on se plonge dans l’histoire du sens de sionisme, il est amusant de noter une chose: ceux qui hier se réclamaient du sionisme seraient sans doute aujourd’hui considérés comme antisionistes. Que les antisionistes d’aujourd’hui ne sautent pas de joie en se disant « Regardez! même les vôtres sont d’accord avec nous! » car ils se tromperaient lourdement en comprenant pourquoi il y a eu une telle évolution.
Lorsque le sionisme a commencé à se former, il se met en place une sorte de profusion de sens pour le terme sionisme, correspondant aux différentes options politiques et sociales de l’époque. Tout ce joue dans des périodes entre les années 1890 et 1929, et ce qui permettra de préciser et d’éliminer certains significations du mot sionisme seront plus les évènements historiques que les combats intellectuels de l’époque au sein même du sionisme.
1890-1929
Un sionisme social et culturel:
Un sionisme socio-culturel s’est mis en place assez tôt autour des idées de Ahad Ha’Am. La vision de ce sionisme voyait l’émancipation juive avant tout dans un lien culturel avec la terre d’Israel, sans mettre en avant une vision politique. La centralité d’une indépendance juive dans le cadre d’un Etat juif n’avait pas donc l’importance que l’on a pu voir par ailleurs.
Ahad Ha’Am avait une grande crainte: que la présence juive entraine des tensions avec les populations arabes locales (en 1891). Il sera alors un critique de l’option d’un état juif proposé par le sionisme politique, prônant plutôt une état bi-national.
Un sionisme politique.
L’autre versant, dans ces années 1880-1930, sera le sionisme politique, dont son plus célèbre représentant est Theodore Herzl. Il prône donc le sionisme tel que nous le connaissons, un état Juif… ou un état des Juifs? Car dans l’opposition entre Herzl et Ahad Ha’am, entre sionisme politique et sionisme culturel, on pourrait y voir une opposition entre le JudenStaat (Etat des Juifs) de Herzl, dont le but est quantitatif, et l’Etat Juif d’Ahad Ha’Am, avec un objectif plus qualitatif. Pour Ahad Ha’Am la question est « Pourquoi faire venir tant de juifs si ce n’est pas pour qu’ils soient profondément juifs? ». Pour Herzl, le sionisme se comprend comme l’accord des droits politiques aux Juifs avant tout en tant que peuple, en tant que collectivités, la dimension spirituelle étant pour lui largement secondaire.
Ainsi dans toutes ses acceptions du mot sioniste, on voit, en miroir, ce qu’est l’antisionisme, c’est ce refus d’une émancipation juive hors des pays dans lesquels se trouvent déjà les Juifs. Pour cet antisionisme, le Juif ne peut se libérer que là où il est déjà.
Sur toutes cette première période, c’est un foisonnement de vision de l’avenir sioniste du peuple juif, mais des évènements externes vont modifier et réduire l’éventail de significations du terme « sionisme ».
1929 – 1967
La date de 1929 correspond à un évènement: le massacre des Juifs d’Hébron. Cet évènement aura des conséquences directes sur le sionisme social et culturel et en particulier sur le Brit Shalom. L’un de ses membres les plus importants, Arthur Ruppin, qui dans les valeurs d’Ahad Ha’Am prônait un état bi-national, démissionnera du Brit Shalom, prenant acte de l’impossibilité d’une coexistence judéo-arabe et se rapprochant du sionisme politique et de son héritier après Herzl, Haim Weizmann. Le Brit Shalom cessera d’exister en 1933.
L’antisionisme, de son côté se précisait également, en devenant de plus en plus affiché comme un refus d’accorder une égalité des droits politiques au peuple Juif, et les mouvements antisionistes s’opposant à l’existence d’Israël (que ce soit à l’extrême droite ou à l’extrême gauche) voyait leur caractère antisémite totalement évident.
1967 à aujourd’hui.
La guerre des Six Jours va bouleverser la donne et faire revenir l’un des aspects du sionisme socio-culturel… sous une forme inattendue. Ceux qui venaient en Israël avant 1967 avait certes un état juif… mais avant tout un état des Juifs. La conquête et la libération de Jérusalem vont sonner comme un réveil. Le mot SIONISME va reprendre sa route.
Sources sur certains points: Encyclopédie du Judaisme, editions CERF/Lafon